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[March Bloch, "Les caractères originaux de l’Histoire rurale française" (Paris: 1931).]

[Marc Bloch, "French Rural History: An Essay on its Basic Characteristics," trans. Janet Sondheimer (Berkeley, CA: 1966).]

Introduction: Quelques observations de méthode

Introduction: Some observations on Method

Ce serait jouer à d’aimables hôtes un très vilain tour que de rejeter sur eux une responsabilité dont l’auteur seul doit supporter le poids. Je puis bien dire cependant que si l’Institut pour l’Étude Comparative des Civilisations ne m’avait fait l’honneur, à l’automne dernier, de me demander quelques conférences, ce livre n’eût probablement jamais été écrit. Un historien averti des difficultés de son métier — le plus malaisé de tous, au gré de Fustel de Coulanges — ne se décide pas sans hésitations à retracer en quelques centaines de pages une évolution extrêmement longue, en elle-même obscure et, par surcroît, insuffisamment connue. J’ai cédé à la tentation de présenter à un public plus large que mes bienveillants auditeurs d’Oslo quelques hypothèses que je n’ai pas eu, jusqu’ici, le loisir de développer avec tout l’appareil de preuves nécessaire, mais qui me paraissent, dès maintenant, capables de fournir aux chercheurs d’utiles directions de travail. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il sera bon d’expliquer brièvement dans quel esprit je me suis efforcé de le traiter. Aussi bien quelques-uns de ces problèmes de méthode dépassent-ils, et de beaucoup, la portée de mon petit livre.

It would be churlish to saddle generous hosts with a responsibility which should rest with the author alone. But it is only fair to say that had the Institut pour l’Étude Comparative des Civilisations not honoured me with their invitation to deliver a course of lectures last autumn this book would probably never have been written. Any historian alive to the difficulties of his trade -- Fustel de Coulanges thought it the most difficult trade of all -- is reluctant to compress his account of a long drawn out and inherently obscure process, still imperfectly understood, into a couple of hundred pages. If I now yield to temptation by acquainting a wider public than my sympathetic audience in Oslo with certain theories which I still lack leisure to develop in the necessary supporting detail, it is in the belief that publication at this juncture may be useful to other scholars as a pointer to further investigation. Before embarking on the body of the subject it may be helpful to give some account of the spirit in which I approach it. As will be seen, however, some of the problems of method reach beyond and indeed far exceed the bounds of this little book.

* * *

* * *

Dans le développement d’une discipline, il est des moments où une synthèse, fût-elle en apparence prématurée, rend plus de services que beaucoup de travaux d’analyse, où, en d’autres termes, il importe surtout de bien énoncer les questions, plutôt, pour l’instant, que de chercher à les résoudre. L’histoire rurale, dans notre pays, semble en être arrivée là. Ce tour d’horizon sommaire que l’explorateur s’accorde, avant de pénétrer dans les fourrés où les vues larges deviennent impossibles, est tout ce que j’ai prétendu réaliser. Nos ignorances sont grandes. Je me suis efforcé de n’en dissimuler aucune, pas plus les lacunes de la recherche, en général, que les insuffisances de ma propre documentation, fondée, en partie, sur une enquête de première main, mais faite, surtout, de coups de sondes. Sous peine, cependant, de rendre l’exposé illisible, je ne pouvais multiplier les points d’interrogation autant qu’en droit il eût été nécessaire. Après tout, ne doit-il pas toujours être entendu qu’en matière de science toute affirmation n’est qu’hypothèse ? Le jour où des études plus approfondies auront rendu mon essai tout à fait caduc, si je puis croire qu’en opposant à la vérité historique des conjectures fausses je l’ai aidée à prendre conscience d’elle-même, je m’estimerai pleinement payé de mes peines.

There are moments in the development of a subject when a synthesis, however premature it may appear, can contribute more than a host of analytical studies; in other words, there are times when for once the formulation of problems is more urgent than their solution. It seems to me we have reached this point in French agrarian history. I could liken myself to an explorer making a rapid survey of the horizon before plunging into thickets from which the wider view is no longer possible. The gaps in my account are naturally enormous. I have done my best not to conceal any deficiencies, whether in the state of our knowledge in general or in my own documentation, which is based partly on first-hand research but to a much greater extent on soundings taken at random. Anxious to prevent this account from becoming unreadable, I have not allowed the question-marks to multiply as freely as they ought. It should, after all, be common ground that in a scientific subject every positive statement is simply a hypothesis. When the time comes for my own work to be superseded by studies of a deeper penetration, I shall feel rewarded if confrontation with my false conjectures has made history learn the truth about herself.

Seuls les travaux qui se bornent, prudemment, à un cadre topographique restreint peuvent fournir aux solutions définitives les données de fait nécessaires. Mais ils ne sont guère capables de poser les grands problèmes. Il faut, pour cela, des perspectives plus vastes, où les reliefs fondamentaux ne risquent point de se perdre dans la masse confuse des menus accidents. Même un horizon étendu à une nation entière est parfois insuffisant. Sans un coup d’œil d’abord jeté sur la France, comment saisir, dans leur singularité, les développements propres aux diverses régions ? A son tour, le mouvement français ne prend son sens véritable qu’une fois envisagé sur le plan européen. Il ne s’agit point d’assimiler de force, tout au contraire de distinguer ; non de construire, comme dans le jeu des photographies superposées, une image faussement générale, conventionnelle et floue, mais de dégager, par le contraste, en même temps que les caractères communs, les originalités. Ainsi la présente étude, consacrée à un des courants de notre histoire nationale, ne s’en rattache pas moins à ces recherches comparatives que je me suis ailleurs efforcé de définir et pour lesquelles l’Institut, qui m’a accordé l’hospitalité, a déjà tant fait.

Factual data capable of definitive interpretation are to be expected only from a field of research prudently tailored to a topographical setting. But this scale is too small to allow the major questions to be posed. For that we need wider perspectives, where there is not danger of losing sight of the main pomontories among a confused mass of accidental detail. Even a horizon whose sweep includes a whole nation may sometimes be too small. Unless we first cast our eye over France as a whole, we cannot expect to grasp what is singular in the development of the various regions. And what was happening in France can only be appreciated when seen in the context of Europe. This is not a question of straining after forced comparisons but of making proper distinctions; we are not engaged in some kind of trick photography, which would produce a fuzzy conventional image, deceptively generalised; what we are looking for are characteristics held in common, which will make whatever is original stand out by contrast. Although the subject treated here is part of our national history, it also impinges on the type of comparative studies I have tried to define elsewhere, to which the Institute sponsoring my lectures has already contributed so much.

Mais les simplifications que commandait la forme même de l’exposé ont forcément entraîné certaines déformations, qu’il n’est que loyal de signaler. « Histoire rurale française » ; ces mots paraissent tout simples. A y regarder de près, cependant, ils soulèvent bien des difficultés. Par leur structure agraire profonde, les diverses régions dont la France d’aujourd’hui est faite s’opposent et surtout s’opposaient entre elles beaucoup plus fortement que chacune, prise à part, à d’autres contrées, au delà des frontières politiques. Peu à peu, il est vrai, par dessus ces différences fondamentales, ce qu’on peut appeler une société rurale française s’est constituée, mais lentement, et moyennant l’absorption de plusieurs sociétés ou fragments de sociétés qui primitivement appartenaient à des mondes étrangers. Traiter de « françaises » des données relatives, par exemple, au IXe siècle, voire, si elles sont provençales, au XIIIe, serait une pure absurdité s’il ne devait être entendu à l’avance que cette façon de parler revient à dire, tout simplement, que la connaissance de ces phénomènes anciens, empruntés à des milieux disparates, s’avère indispensable à l’intelligence de la France moderne et contemporaine, issue, générations par générations, des diversités primitives. Bref, la définition est prise dans le point d’aboutissement, plutôt que dans les origines ou le cours même du développement : convention admissible, sans doute, pourvu qu’elle ne s’ignore pas elle-même.

The simplification imposed on my chosen form entails certain distortions which it is only fair to point out. The expression 'the agrarian history of France' may at first sight appear quite straightforward, but when looked at closely presents a number of difficulties. In their basic agrarian structure the regions which make up modern France differ more widely from each other than from their immediate political neighbours; in the past this trait was more obvious still. It is true that what might be described as 'a French rural society' has gradually been superimposed on these original differences, but its evolution has been slow, entailing the absorption of a number of other societies or social fragments which were originally part of a different system. It would obviously be absurd to treat data relating to the eleventh century (and where Provence is concerned of the thirteenth century) as 'French': absurd, that is, unless we agree in advance that all we mean by the description is that such material, derived from a wide variety of milieus, is indispensable to our understanding of a modern France descended generation by generation from ancestral diversity. In short, our definition is determined by the end-product rather than the raw material or the actual process of development: an admissible convention, perhaps, so long as we recognise it for what it is.

La France rurale est un grand pays complexe, qui réunit dans ses frontières et sous une même tonalité sociale les tenaces vestiges de civilisations agraires opposées. Longs champs sans clôtures autour des gros villages lorrains, enclos et hameaux bretons, villages provençaux, pareils à des acropoles antiques, parcelles irrégulières du Languedoc et du Berry, ces images si différentes, que chacun de nous, en fermant les yeux, peut voir se former devant le regard de la pensée, ne font qu’exprimer des contrastes humains très profonds. Je me suis efforcé de rendre justice à ces dissemblances, et à beaucoup d’autres. Cependant les nécessités d’un récit forcément assez bref, le désir aussi de mettre l’accent, avant tout, sur quelques grands phénomènes communs, trop souvent laissés dans l’ombre et dont il appartiendra à d’autres travailleurs de préciser les nuances locales, m’ont à plusieurs reprises contraint d’insister moins sur le particulier que sur le général. Le principal inconvénient de ce parti-pris est d’avoir, dans une certaine mesure, masqué l’importance des facteurs géographiques : car les conditions imposées à l’activité humaine par la nature physique, si elles ne paraissent guère capables d’expliquer les traits fondamentaux de notre histoire rurale, reprennent tous leurs droits lorsqu’il s’agit de rendre compte des différences entre les régions. Il y a là une correction d’un grand poids, que ne manqueront pas de donner, un jour, des études plus poussées.

Rural France is a large and complex country whose frontiers embrace the tenacious survivals of different agrarian civilisations, now reduced to a single social scale. The varying pictures we each conjure up in our mind’s eye – the villages of Lorraine surrounded by their long open-fields, the closes and hamlets of Brittany, a Provinçal village like an ancient acropolis, the irregular plots of Languedoc and Berry – speak also of very profound human differences. I have tried to deal faithfully with those and other contrasts. But in what is necessarily a brief account, in which my chief concern has been to stress the importance of certain universal phenomena all too often ignored and whose local deviations must be left for others to trace, I have often felt obliged to insist on the general at the expense of the particular. The chief drawback to this plan is that is partially obscures the importance of geographical factors. Although the limitations on human activity imposed by physical environment can hardly be held wholly responsible for the basic features of our agrarian history, they certainly deserve to be considered when reasons for regional differences are in question. The balance on this score is patently in need of adjustment, and we must look to further research to supply the correction.

L’histoire est, avant tout, la science d’un changement. Dans l’examen des divers problèmes, j’ai fait de mon mieux pour ne jamais perdre de vue cette vérité. Cependant il m’est arrivé, notamment à propos des régimes d’exploitation, de devoir éclairer un passé très lointain à la lueur de temps beaucoup plus proches de nous. « Pour connaître le présent », disait naguère Durkheim, en tête d’un cours sur la famille, « il faut d’abord s’en détourner ». D’accord. Mais il est des cas aussi où, pour interpréter le passé, c’est vers le présent, ou, du moins, vers un passé tout voisin du présent qu’il sied, d’abord, de regarder. Telle est, en particulier, pour des raisons qu’on va voir, la méthode que l’état de la documentation impose aux études agraires.

History is above all the science of change. In my examination of the different problems I have always tried to keep this truth in mind. There are moments, however, when I have had to use evidence from periods close to our own to shed light on the very remote past, especially when dealing with agrarian regimes. When Durkheim was embarking on a course of lectures on the family he once said ‘to understand the past one must first leave it’. That is true. But it can also happen that one must first look at the present, or what was recently the present, in order to understand the past. For reasons which will emerge, this is the method imposed on agrarian studies by the present state of the evidence.

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***

La vie agraire de la France apparaît, à partir du XVIIIe siècle, au plein jour de l’histoire. Pas avant. Jusque là les écrivains, sauf quelques spécialistes préoccupés uniquement de donner des recettes pratiques, ne s’en étaient guère souciés ; les administrateurs, pas davantage. A peine si quelques ouvrages juridiques ou quelques coutumes rédigées renseignent sur les principales règles d’exploitation, comme la vaine pâture. Sans doute, nous le verrons plus loin, il n’est point impossible d’extraire des documents anciens beaucoup d’indications précieuses. Mais à condition de savoir les y découvrir. Or, pour cela, une première vue d’ensemble, seule capable de suggérer les lignes générales de la recherche, est indispensable. Antérieurement au XVIIIe siècle, impossible de se donner ce spectacle. C’est que les hommes sont ainsi faits qu’ils ne perçoivent guère que ce qui change, et brusquement. Pendant de longs siècles les usages agraires avaient semblé presque immuables, parce qu’en fait ils se modifiaient peu et que, lorsqu’ils évoluaient, c’était à l’ordinaire sans à-coups. Au XVIIIe siècle, techniques et règles d’exploitation entrèrent dans un cycle de transformation beaucoup plus rapide. Bien plus : on voulut les transformer. Les agronomes décrivirent les vieilles routines, pour les combattre. Les administrateurs, afin de mesurer l’étendue des réformes possibles, s’informèrent de l’état du pays. Les trois grandes enquêtes, suscitées de 1766 à 1787 par le problème de la vaine pâture et des clôtures, tracent un vaste tableau, dont rien, jusque là, ne saurait donner l’équivalent. Elles ne sont que le premier anneau d’une longue chaîne, qui se poursuivra au siècle suivant.

The agrarian life of France only emerges into the full light of history from the eighteenth century onwards. Until that time, with the exception of a few specialists who concentrated on technicalities, writers tended to ignore the subject, as did administrators. Few if any of the legal treatises or published customs deal directly with the most important rules governing rural economy, such as the right of grazing on the arable waste. As we shall see, the older documents can be made to yield much valuable information, but one must know how to find it. The first essential is to form an overall picture from which the general lines for research can emerge. It is impossible to form any such overall picture for a period earlier than the eighteenth century. As a rule men only notice their environment when changes are afoot, and sudden changes at that. If agrarian customs appear to remain static over several centuries it is because they in fact altered very little and because whatever small advances were made usually took place without commotion. In the eighteenth century the techniques and principles of land cultivation began to change more rapidly. Furthermore, there was now an active impetus towards change. Agronomists described the old agricultural routines in order to attack them. Administrators analysed the state of the country to gauge the extent of practicable reform. The three great commissions of enquiry initiated between 1766 and 1786 to investigate the problems posed by grazing on the arable and by enclosures presented their results on a scale which had no previous equivalent; and they were but the first link in a long chain which extends into the next century.

A côté des écrits et presque aussi nécessaires que ceux-ci, se placent les cartes, qui mettent sous nos yeux l’anatomie des terroirs. Les plus anciennes remontent un peu plus haut, jusqu’au règne de Louis XIV. Mais ces beaux plans, d’origine seigneuriale pour la plupart, ne se multiplient guère qu’au XVIIIe siècle. Encore présentent-ils alors bien des lacunes, locales, régionales même. Pour connaître, dans toute son ampleur, le dessin des champs français, c’est jusqu’au cadastre du Premier Empire et de la monarchie censitaire, exécuté en pleine révolution agricole, mais avant l’achèvement de celle-ci, qu’il faut descendre.

In addition to these written accounts we have some almost equally invaluable maps, which lay bare the anatomy of the land. The oldest of these handsome objects (mostly of seigneurial origin) belong to a slightly earlier period, the reign of Louis XIV, and it is again only in the eighteenth century that their numbers start to increase. In order to understand French field patterns in all their rich diversity it is necessary to turn to the survey made under the First Empire and the July Monarchy, at a time when the tide of agricultural revolution was at its height but its achievement was still incomplete.

Dans ces documents, d’époque relativement basse, l’histoire agraire — j’entends par là l’étude à la fois de la technique et des coutumes rurales qui, plus ou moins étroitement, réglaient l’activité des exploitants — trouve son point de départ obligatoire. Un exemple fera saisir, mieux que de longues considérations, la nécessité d’une pareille démarche.

These documents of relatively recent date must be our starting-point for the study of French agrarian history, which I take to include the technicalities of farming as well as the customs by which rural life was to a greater or lesser extent governed. An example will bring home more succinctly than lengthy explanations the reasons for this roundabout approach.

Vers 1885, un des savants auxquels l’histoire rurale anglaise doit le plus, Frédéric Seebohm, préoccupé par l’étude du régime que nous retrouverons plus loin sous le nom de champs ouverts et allongés, écrivit à Fustel de Coulanges, dont le rapprochaient beaucoup de conceptions communes sur l’origine des civilisations européennes, pour lui demander si ce type agraire, clairement attesté en Grande Bretagne, l’était à quelque degré dans notre pays. Fustel répondit qu’il n’en avait point reconnu de traces. Ce n’est point manquer à sa grande mémoire que de rappeler qu’il n’était pas de ceux pour qui le monde extérieur existe intensément. Il n’avait sans doute jamais porté des regards bien attentifs sur les labours, au dessin si singulier, qui, dans tout le Nord et l’Est de la France, évoquent impérieusement le souvenir de l’open field anglais. Sans goût particulier pour l’agronomie, les discussions sur la vaine pâture qui, au moment même où il recevait la lettre de Seebohm, se poursuivaient devant les Chambres, l’avaient laissé indifférent. Pour renseigner son correspondant, il n’avait consulté que des textes, et très anciens. Mais il les connaissait admirablement. Comment se fait-il qu’ils ne lui aient rien révélé sur des phénomènes dont pourtant ils peuvent fournir quelques témoignages assez nets ? Maitland, dans un jour d’injustice, l’a accusé d’avoir volontairement fermé les yeux, par parti-pris national. Mais les champs allongés sont-ils donc forcément germaniques ? La véritable explication est ailleurs. Fustel n’avait considéré que les documents en eux-mêmes, sans les éclairer par l’étude d’un passé plus proche. Passionné, comme alors tant de hauts esprits, par les questions d’origines, il resta toujours fidèle à un système étroitement chronologique qui le conduisait, pas à pas, du plus ancien au plus récent. Ou, du moins, il ne pratiquait la méthode inverse qu’inconsciemment et parce que, bon gré mal gré, elle finit toujours par s’imposer, en quelque manière, à l’historien. N’est-il pas inévitable que, à l’ordinaire, les faits les plus reculés soient en même temps les plus obscurs ? et comment échapper à la nécessité d’aller du mieux au moins bien connu ? Lorsque Fustel recherchait les racines lointaines du régime dit « féodal », il fallait bien qu’il eût dans l’esprit une image, au moins provisoire, de ces institutions, au moment de leur plein épanouissement, et l’on est en droit de se demander s’il n’eût pas mieux fait, avant de s’enfoncer dans le mystère des débuts, de préciser les traits du dessin achevé. L’historien est toujours l’esclave de ses documents ; plus que tout autres, ceux qui se vouent aux études agraires ; sous peine de ne pouvoir épeler le grimoire du passé, il leur faut, le plus souvent, lire l’histoire à rebours.

About the year 1885 Frederick Seebohm, a scholar who contributed as much as anyone to the history of rural England, wrote to Fustel de Coulanges (the two had many ideas in common concerning the origins of European civilisation) to ask whether the open-field system with long furlongs, for which there was clear evidence in England, had ever been at all common in France. Fustel replied that he had found no trace of it. I intend no disrespect to a revered memory if I point out that Fustel de Coulanges was not a man on whom the external world made much impact. It is quite probable that he never took any special notice of the characteristic pattern of plough-lands visible all over northern and eastern France which so irresistibly call to mind the open-fields of England. And since Fustel had no particular interest in agriculture, the debates on grazing on the arable which were engaging both Chambers at the very moment he was receiving Seebohm’s letter also failed to attract his attention. Fustel based his answer on documents, very ancient documents. Now these were texts he knew very well; how was it then that they failed to reveal for him any trace of the phenomena they in fact quite plainly attest? Maitland in an unworthy moment accused Fustel of having suppressed the evidence on patriotic grounds; but is it necessary to assume that open-fields were of Germanic origin? The true explanation is of a different order. Fustel concentrated solely on his documents, without considering them in the light of the more recent past. Like so many great minds of his age, he was fascinated by the question of origins and always remained faithful to a strictly chronological approach, by which he moved forward step by step from the most remote to the most recent past. If he ever reversed the process he did so unconsciously, for the good reason that at some stage the inverse method will always force itself on the historian, whether he likes it or not. Since the facts of the distant past are also the most obscure, there is really no escape from the discipline of working back from the better to the less well-known. When he was working on the origins of the ‘feudal’ system, Fustel must surely have had least a provisional mental image of what ‘feudal’ institutions were like in their heyday; is it unfair to suggest that he would have done better to decide what were the essential features of the finished model before plunging into the mysteries of its inception? The historian, especially the agrarian historian, is perpetually at the mercy of his documents; most of the time he must read history backwards if he hopes to break the secret cypher of the past.

Mais ce déchiffrement à l’opposé de l’ordre naturel a ses périls, qu’il importe de définir clairement. Qui voit le piège, risque moins d’y tomber.

But trying to break the code from the wrong end has its dangers, which should clearly be understood: to be forewarned is to be forearmed.

Les documents récents éveillent les curiosités. Les textes anciens sont loin de laisser celles-ci toujours insatisfaites. Convenablement interrogés, ils fournissent beaucoup plus qu’au premier abord on n’eût oser en attendre : notamment ces témoignages de la pratique juridique, ces arrêts, ces actes de procès dont malheureusement le dépouillement, dans l’état actuel de notre équipement scientifique, est si mal préparé. Tout de même, ils sont loin de répondre à toutes les questions. D’où la tentation de tirer des propos de ces témoins récalcitrants des conclusions beaucoup plus précises qu’en droit il ne serait légitime : écarts d’interprétation dont on donnerait aisément un amusant spicilège.

The more recent documents raise a number of questions to which the older ones supply at least some of the answers. Properly interrogated, they yield more than one might at first dare to hope; especially valuable are the records relating to legal proceedings, for example judgments and records of litigation, although at present their interpretation is unfortunately seriously hindered by our technical deficiencies. Even so, these documents are still a long way from supplying satisfactory answers to all our questions. The temptation to draw unwarranted conclusions from these reluctant witnesses becomes difficult to resist and a diverting anthology could be made of flights of fancy engendered in this way.

Mais il y a pis. En 1856, Wilhelm Maurer écrivait : « Le coup d’œil le plus rapide sur les comtés de l’Angleterre actuelle montre que l’exploitation par fermes isolées est de beaucoup la plus répandue... Cet état de choses, constaté de nos jours, permet de conclure sûrement pour l’époque ancienne » — il s’agissait de la période anglo-saxonne — « à un peuplement par habitations isolées ». Il n’oubliait rien de moins que la révolution des « enclôtures », brèche profonde creusée entre le passé rural de l’Angleterre et son présent. Les « fermes isolées » étaient nées, pour la plupart, de réunions de parcelles et d’évictions, infiniment postérieures à l’arrivée de Hengist et Horsa. La faute ici n’est guère pardonnable, parce qu’il s’agit d’un changement relativement récent, aisé à connaître et à mesurer. Mais c’est dans le principe même du raisonnement que réside le véritable danger : car il est, si l’on n’y prend garde, capable d’entraîner beaucoup d’autres erreurs, singulièrement plus difficiles à dépister. Trop fréquemment, à une méthode en elle-même raisonnable, on joint un postulat qui, lui, est pleinement arbitraire : l’immuabilité des usages agraires anciens. La vérité est tout autre. A vrai dire, protégées par les difficultés matérielles qui s’opposaient à leur bouleversement, par l’état d’une économie aux réactions plus lentes, par le traditionalisme ambiant, les règles d’exploitation se transformaient autrefois plus rarement qu’aujourd’hui. En outre, les documents qui nous renseignent sur leurs modifications anciennes sont généralement très pauvres et très peu explicites. Elles étaient pourtant, comme nous le verrons au cours de l’exposé, bien loin de pouvoir prétendre à je ne sais quelle illusoire pérennité. Tantôt une rupture brusque dans l’existence du village — dévastation, repeuplement après une guerre — forçait à retracer les sillons sur un nouveau plan : tantôt, comme en Provence, aux temps modernes, la communauté décidait de changer, d’un coup, la coutume ancestrale ; plus souvent encore, on s’écartait presque insensiblement et, peut-être sans le vouloir, de l’ordre primitif. Certes, elle ne ment point, la belle phrase romantique où Meitzen a exprimé un sentiment presque poignant, familier à tous les chercheurs qui ont consacré aux antiquités agraires une part de leur vie : « Dans chaque village, nous promenons nos pas parmi les ruines de la préhistoire, plus vieilles que les romanesques débris des burgs ou les remparts croulants des villes ». Sur plus d’un terroir en effet, le dessin des champs dépasse, et de beaucoup, en ancienneté les plus vénérables pierres. Mais ces vestiges, précisément, n’ont jamais été, à proprement parler, des « ruines » ; ils ressemblent bien plutôt à ces édifices composites, de structure archaïque, que, sans jamais cesser d’y faire leur nid, les siècles, tour à tour, ont remaniés. C’est pourquoi ils ne sont presque jamais arrivés à nous à l’état pur. Le vêtement du village est très vieux, mais il a été bien souvent rapiécé. A négliger, de parti-pris, à refuser de rechercher ces variations, on nierait la vie même, qui n’est que mouvement. Suivons, puisqu’il le faut, en sens inverse la ligne des temps ; mais que ce soit d’étape en étape, attentifs toujours à tâter du doigt les irrégularités et les variations de la courbe et sans vouloir — comme on l’a fait trop souvent — passer, d’un bond, du XVIIIe siècle à la pierre polie. Au proche passé, la méthode régressive, sainement pratiquée, ne demande pas une photographie qu’il suffirait ensuite de projeter, toujours pareille à elle-même, pour obtenir l’image figée d’âges de plus en plus lointains ; ce qu’elle prétend saisir, c’est la dernière pellicule d’un film, qu’elle s’efforcera ensuite de dérouler à reculons, résignée à y découvrir plus d’un trou, mais décidée à en respecter la mobilité.

But worse than this can happen. Writing in 1856, Wilhelm Maurer said, ‘Even the most hasty survey of the counties of modern England shows that the separate farm is by far the commonest unit of cultivation… Since this is so in our own day, we can safely conclude that in the earlier period’ – by which he means Anglo-Saxon times – ‘the population was also settled in isolated homesteads.’ What Maurer totally overlooked was nothing less than the revolutionary Enclosure Movement, which interposed a yawning gap between England’s rural past and present. The majority of his ‘separate farms’ had been produced by evictions and grouping together many different plots of land, long after the arrival of Hengist and Horsa. This particular error is all the more culpable since the development in question was relatively recent and easy to recognise and evaluate. But there is a real danger in the method itself, for unless one is careful a host of errors may enter in its train, of a kind peculiarly difficult to detect. A method which is quite reasonable in itself becomes vulnerable when linked with some kind of arbitrary postulate, in this example the immutability of agrarian custom. The truth of the matter is very different. Admittedly, agrarian habits were much less liable to alteration in the past than they are now; they were protected by the many material difficulties which impeded change, by the less sensitive economy and by the prevailing respect for tradition. It should also be noted that sources which might shed light on such changes as did occur are often meagre and inexplicit. But, as will become plain, there was no question of their becoming immutable. Any break in the continuity of village life, caused perhaps by some sudden devastation or by resettlement at the end of a war, might cause the villagers to retrace the pattern of their furrows; or again, as in Provence in our own day, a community might abruptly decide to abandon its ancestral way of life; or finally, which was more common, there might be a gradual and unintentional drift away from the old order. Meitzen has a fine romantic passage in which he describes that almost nostalgic feeling familiar to anyone who has spent part of his life immersed in agrarian antiquities. ‘In every village our footsteps lead us among prehistoric ruins more ancient than the romanesque rubble of cities or the tottering ramparts of towns.’ And this is no exaggeration. It is a fact that in more than one place the pattern of the fields is older by far than even the most venerable stones. But, and this is the point, these survivals have never been ‘ruins’; they are better compared to a composite building of archaic structure, never deserted but constantly remodelled by each fresh generation of occupiers. It is not surprising to find that few field systems have come down to us in their original form. Our villages wear an ancient dress, but one that has often been made over. Deliberate refusal to notice and investigate these changes is tantamount to a denial of life itself, since all life is change. Let us then agree, since we have no choice, to follow the trail backwards, one careful step at a time, examining irregularities and variations as they come, avoiding the all too common error of trying to leap at a bound from the eighteenth century to the Neolithic age. If we use our common sense, we shall see that the picture presented by the recent past is not an image we merely need to project over and over again in order to reproduce that of centuries more and more remote; what the recent past offers resembles rather the last reel of a film which we must try to unroll, resigned to the gaps we shall certainly discover, resolved to pay due regard to its sensitivity as a register of change.

Strasbourg, 10 juillet 1930.

Strasbourg, 10 July 1930

Chapitre I.


Les grandes étapes de l’occupation du sol

Chapter One


The Main Stages in the Occupation of the Soil

1. Les origines.

1. The Beginnings

Lorsque s’ouvrit la période que nous appelons moyen-âge, lorsque, lentement, commencèrent à se constituer un État et un groupement national que l’on peut qualifier de français, l’agriculture était déjà, sur notre sol, chose millénaire. Les documents archéologiques l’attestent sans ambages : d’innombrables villages, dans la France d’aujourd’hui, ont pour ancêtres directs des établissements de cultivateurs néolithiques ; leurs champs furent moissonnés avec des outils de pierre bien avant que jamais faucille de métal ne tranchât l’épi. Cette préhistoire rurale, en elle-même, est hors du sujet que je traite ici ; mais elle le domine. Si nous sommes si souvent embarrassés pour expliquer, dans leurs natures diverses, les principaux régimes agraires pratiqués sur nos terroirs, c’est que leurs racines plongent trop loin dans le passé ; de la structure profonde des sociétés qui leur donnèrent naissance, presque tout nous échappe.

At the beginning of the period we call the Middle Ages, when a state and nation we can recognize as French was slowly starting to emerge, agriculture was already an established feature of the countryside, and had been for a thousand years past. The archaeological evidence is clear; innumerable villages of present-day France are direct descendants of neolithic agrarian settlements, whose fields were harvested with implements of stone long before men had metal sickles to cut their corn. Although our rural prehistory lies outside the scope of this book, its influence will be obvious throughout. If the puzzling variety of our agricultural systems often seems difficult to explain, the reason is that their roots are sunk so far back in the past that the basic structures of their parent societies elude us almost completely.

Sous les Romains, la Gaule fut un des grands pays agricoles de l’Empire. Mais on voyait encore, autour des lieux habités et de leurs cultures, de vastes étendues de friches. Ces espaces vacants grandirent vers la fin de l’époque impériale, alors que, dans la Romania troublée et dépeuplée, de toutes parts se multipliaient les agri deserti. Plus d’une fois, dans des coins de terre qui au moyen-âge durent être de nouveau arrachés à la brousse ou à la forêt, dans d’autres qui, aujourd’hui encore sont vides de champs ou du moins de maisons, les fouilles ont révélé la présence de ruines antiques.

Under the Romans Gaul was one of the great agricultural regions of the Empire. But even so, settlements and their fields were surrounded by uncultivated land, and in the later days of the Empire waste land increased as holdings were deserted in consequence of general unrest and declining population. In some remote places which were recovered from scrub or forest during the Middle Ages, or which are still uncultivated (or at least uninhabited) to this day, excavation has brought ruins dating from antiquity to light.

Vinrent les grandes « invasions » des IVe et Ve siècles. Les Barbares n’étaient pas bien nombreux ; mais la population de la Gaule romaine elle-même, surtout à cette date, se tenait fort au-dessous, sans doute, du chiffre actuel. Par surcroît ; elle était inégalement répartie et les envahisseurs, de leur côté, ne se fixèrent pas en couches de densité uniforme dans tout le pays : de sorte que leur apport, faible au total, dut se trouver, par endroits, relativement important. Dans certaines régions, il fut assez considérable pour que la langue des nouveaux venus se soit finalement substituée à celle du peuple vaincu : telle, la Flandre où l’habitat, aujourd’hui et depuis le moyen-âge si serré, parait avoir été à l’époque romaine passablement lâche, où, au surplus, la force et la culture latines manquaient de l’appui qu’ailleurs leur apportaient les villes, ici rares et peu fournies. A un bien moindre degré, dans toute la France du Nord, les parlers, demeurés foncièrement romans, attestent, dans leur phonétique et leur vocabulaire, une incontestable influence germanique ; de même, certaines institutions. Nous connaissons fort mal les conditions de cet établissement. Un fait, cependant, est certain : sous peine de courir les pires dangers, les conquérants ne pouvaient se disperser. L’examen des témoignages archéologiques, l’étude, notamment, des « cimetières barbares », prouve — ce qui était, par avance, évident — qu’ils ne commirent point cette erreur. Ils vécurent, sur le sol, en petits groupes, probablement organisés chacun autour d’un chef. Il est vraisemblable que, plus ou moins mêlées de colons ou d’esclaves provenant de la population soumise, ces menues collectivités donnèrent naissance quelquefois à des centres d’habitat nouveaux, découpés dans les anciens domaines gallo-romains que l’aristocratie avait dû, bon gré mal gré, partager avec ses vainqueurs. Peut-être des surfaces jusque-là incultes ou qui, du fait même de l’invasion, l’étaient devenues, furent-elles alors mises ou remises en valeur. Un assez grand nombre des noms de nos villages datent de ce temps. Quelques-uns montrent que le groupe barbare était parfois un véritable clan, une fara : ce sont les Fère, ou La Fère, auxquelles correspondent, dans l’Italie des Lombards, des formes exactement analogues. D’autres, beaucoup plus fréquents, se composent d’un nom d’homme au génitif — un nom de chef — que suit un terme commun, tel que villa ou villare. Exemple : Bosonis villa, dont nous avons fait Bouzonville. L’ordre même des mots — le génitif en tête, alors que, à l’époque romaine, dans ces termes composés il venait en second —, surtout l’aspect nettement germanique du nom de personne sont caractéristiques. Non que les héros éponymes de ces villages aient tous été des Germains. Sous la domination des rois barbares, dans les familles de vieille souche indigène, la mode fut d’imiter l’onomastique des conquérants. Fils de Francs on de Goths, notre Boson ? pas plus, peut-être, que tous les Percy ou les William des États-Unis ne sont aujourd’hui fils d’Anglo-Saxons. Mais il est sûr que les noms qui désignent ces agglomérations sont plus récents que les invasions. Les agglomérations elles-mêmes ? pas nécessairement ; il est hors de doute que des lieux anciennement habités furent parfois débaptisés. Ces réserves faites, il n’en demeure pas moins que là où de pareilles formes toponymiques se pressent sur la carte en rangs serrés, on doit supposer que l’afflux d’éléments humains venus du dehors exerça sur l’occupation du sol une influence qui ne fut point négligeable. Tel fut le cas de diverses contrées situées, en général, à l’écart des principales villes, foyers de la civilisation romaine, d’un pays, notamment, qui en raison de sa sécheresse médiocrement recherché par les agriculteurs de la préhistoire, est aujourd’hui une des plus riches terres à blé de la France : la Beauce.

Then followed the great invasions of the fourth and fifth centuries. Although the numerical strength of the barbarians was not great, it must also be remembered that the population of Roman Gaul, particularly at this period, was probably far below its present figure. It was, moreover, very unevenly distributed and the barbarians likewise did not settle with uniform density in every part of the country. Thus although new arrivals may have made little impression on the country as a whole, in some places their impact must have been relatively heavy. There were parts where it was so considerable that the native tongue was eventually superseded, for example in Flanders where settlement in Roman times appears to have been much less dense than it has been since the Middle Ages and where the towns, few in number and somewhat rudimentary, could not as elsewhere lend support to the ascendency of Latin culture. Again, to take a less extreme example, there is no denying that although the dialects of northern France retained their fundamentally Romance character, they betray many Germanic influences in phonetics and vocabulary, and the same influence is to be seen at work in certain institutions. We know very little of the nature of the barbarian settlements. The one obvious fact, that the conquerors could not afford to disperse, is borne out by archaeological evidence, particularly from the barbarian cemeteries, which confirms that they avoided this mistake. The conquerors settled on the land in small groups, each probably centred on a chieftain. Some of these petty groupings, reinforced to a greater or lesser extent by coloni or slaves from the subject population, probably developed into new centres of settlement carved from the ancient Gallo-Roman estates, which the aristocracy were now forced to share with their conquerors. It is also possible that this new period saw the cultivation of land previously virgin, or which had been abandoned on account of the invasions. A fair number of our village names date from this time. Some of them show that the barbarian group settled there was an actual clan or fara: these are the place-names Fère or La Fère, for which there are exact equivalents in the Lombard parts of Italy. Still more common is to find a village name formed from a personal name – that of a chieftain – in the genitive followed by a common noun such as villa or villare: for example Bosonis villa, which has become Bouzonville. Here we have two typical features, an inverted word order (in Roman times compounds were formed with the genitive in second place) and still more revealing, a distinctly Germanic-sounding name. This is not to say that all eponymous heroes of our villages were Germans. Under the rule of barbarian kings it was fashionable for families of native stock to adopt names in use among their conquerors. Boso need have been no more Frankish or Gothic than the Percies and Williams of present-day America are Anglo-Saxon. But even if their names post-date the invasions, the same need not to be true of the settlements themselves, for there can be no doubt that some places of very ancient occupation lost their original names. All the same, it is still true to say that areas for which the map shows a cluster of place-names in this form must certainly have suffered the intrusion of a foreign element. Such was the fate of districts remote from the larger towns and the influence of Roman civilisation, in particular the Bauce, which had been somewhat neglected by prehistoric farmers on account of its aridity but is now one of the richest corn-growing regions of France.

Tout le long de l’époque franque, les textes parlent de défrichements. D’un grand seigneur, le duc Chrodinus, Grégoire de Tours nous dit « qu’il fonda des villae (domaines ruraux), planta des vignes, édifia des maisons, créa des cultures ». Charlemagne prescrivait à ses intendants d’essarter, dans ses bois, les lieux favorables et de ne point permettre que le champ, ainsi tracé, redevînt la proie de la forêt. On ne peut guère ouvrir un de ces testaments de riches propriétaires, sources entre toutes précieuses pour l’histoire de ce temps, sans y trouver le rappel de bâtiments d’exploitation récemment élevés, de terres gagnées aux moissons. Mais ne nous y trompons point : il s’agit le plus souvent moins de conquêtes véritables que de réoccupations, après une de ces crises locales de dépeuplement si fréquentes dans des sociétés constamment troublées. Charlemagne et Louis le Pieux, par exemple, accueillent-ils en Septimanie — le Bas-Languedoc d’aujourd’hui — des réfugiés espagnols qui, dans les broussailles et les bois, y créent des centres agricoles nouveaux : tel ce Jean qui, dans les Corbières, « au sein d’un désert immense », établit ses colons et ses serfs d’abord au voisinage de « la Fontaine aux Joncs », puis près des « Sources » et des « Huttes de Charbonniers »? C’est que le pays, marche reprise aux Sarrasins, a été ravagé de fond en comble par de longues guerres. Lors même qu’il y avait réellement occupation nouvelle, ces victoires de l’homme sur la nature n’arrivaient sans doute que bien péniblement à compenser les pertes. Car celles-ci étaient nombreuses et lourdes. Dès le début du IXe siècle, dans les inventaires seigneuriaux, la mention de tenures vacantes (mansi absi) se multiplie de la façon la plus inquiétante : sur les « colonges » de l’église de Lyon, d’après un bref établi avant 816, plus du sixième étaient dans ce cas. Contre les dévastations, sans cesse renaissantes, la lutte se poursuit, sans trêve elle aussi, et un pareil effort est en lui-même un beau témoignage de vitalité ; mais il est difficile de croire que le résultat, au total, ait été un gain.

The sources contain references to land clearance throughout the Frankish period. Gregory of Tours says of Duke Chrodin, a leading magnate, ‘he set out villae (country estates), planted vines, built houses and brought land under cultivation’. Charlemagne directed his bailiffs to make clearings suitable places in his forests, and to see that once a field had been laid out the woods were kept at bay. Among those very valuable sources for this period, the wills of wealthy landowners, there is scarcely one which does not contain some reference to farm buildings recently erected and land converted to productive use. It must be realised, however, that in most cases these were not fresh acquisitions but reclamations following one of those periods of local depopulation which may easily occur in an unstable society. Thus Charlemagne and Louis the Pious encouraged Spanish refugees to settle in Septimania (Bas-Languedoc), where they established new areas of tillage among the scrub and forest. There was Johannis, who came to Les Corbières ‘in the heart of a great wilderness’ and established his coloni and serfs, first in the neighbourhood of ‘la fontaine aux Joncs’ and later close to ‘the springs’ and ‘the charcoal-burners’ huts’. This territory, reconquered from the Saracens, had been ravaged from end to end in prolonged fighting. Even if some of the land now cleared was actually virgin, these triumphs of man over nature must have been very unequal compensation for the serious and extensive losses already sustained. From the beginning of the ninth century references in seigneurial inventories to vacant holdings (mansi absi) increase at an alarming rate; according to a document drawn up before 816, more than a sixth of the ‘colonges’ belonging to the church of Lyons were in this state. The struggle against recurrent devastation was unremitting and can be taken as a sign of vitality; but it is difficult to believe that the net result was gain.

Aussi bien, le combat, en fin de compte, se termina-t-il par un échec. Après l’écroulement de l’Empire Carolingien, les campagnes françaises nous apparaissent décidément dépeuplées et toutes tachetées d’espaces vides. Beaucoup de lieux autrefois cultivés ont cessé de l’être. Les textes de l’âge des défrichements — qui devait suivre, à partir de 1050 ou environ, la période d’occupation réduite que nous décrivons en ce moment — sont unanimes à montrer que, lorsqu’on se reprit à pousser en avant les champs, il fallut d’abord reconquérir le terrain perdu. « Nous acquîmes (en 1102) le village de Maisons (en Beauce), qui n’était plus qu’un désert... nous le prîmes, inculte, pour l’essarter » : ce passage, que je recueille, au hasard, dans la chronique des moines de Morigny, peut servir de type à une foule de témoignages analogues. De même, dans une tout autre région, l’Albigeois, et à une date déjà tardive (1195), le prieur de l’Hôpital, accensant le village de Lacapelle-Ségalar : « quand ce don fut fait, la ville de Lacapelle était déserte ; il n’y avait ni homme ni femme ; et elle était déserte depuis longtemps ». Représentons-nous bien clairement ce tableau : autour des lieux habités — poignées de maisons —, des terroirs de faible superficie ; entre ces oasis, de vastes étendues où jamais ne passe la charrue. Ajoutez que, comme nous nous en rendrons mieux compte tout à l’heure, les procédés de culture condamnaient les labours eux-mêmes à rester, une année sur deux ou trois pour le moins et souvent plusieurs années durant, à l’état de friche. La société des dixième et onzième siècles reposait sur une occupation du sol extrêmement lâche ; c’était une société à mailles distendues, où les groupes humains, en eux-mêmes petits, vivaient en outre loin les uns des autres : trait fondamental, qui détermine un grand nombre des caractères propres à la civilisation de ce temps. Pourtant la continuité n’a pas été rompue. Ça et là, il est vrai, des villages ont disparu : telle cette villa de Paisson, en Tonnerrois, dont le finage devait plus tard être essarté par les habitants d’un lieu voisin, sans que l’agglomération elle-même ait jamais été reconstruite. Mais le plus grand nombre subsistent, avec des terroirs plus ou moins réduits. Par endroit, les traditions techniques ont subi quelque éclipse : les Romains tenaient le marnage pour une véritable spécialité des Pictons ; il ne réapparaîtra en Poitou qu’au XVIe siècle. Pour l’essentiel cependant, les vieilles recettes se sont transmises de générations en générations.

For when all is said and done, the contest ended in defeat. After the breakdown of the Carolingian Empire the French countryside has an undeniably depopulated aspect, riddled with pockets of emptiness. In many places cultivation had ceased altogether. The sources for the succeeding period beginning c. 1050, when land clearance started again, tell a unanimous tale of recovering lost ground before fresh advances could be made. A passage taken at random from the chronicle of the monks of Morigny can be matched from countless other sources. ‘We acquired’ (in 1102) ‘the village of Maisons’ (in the Beauce) ‘which was nothing but a wilderness… we took it over in this neglected state in order to clear it.’ At a relatively late date (1195) and in a very different region, the Albigeois, the prior of l’Hôpital granting out the village of Lacapelle-Ségalar says ‘when this gift was made the village of Lacapelle was deserted; not a soul was living there, it had been deserted for a long time’. The picture which begins to emerge is one of settlements comprising a handful of dwellings and surrounded by a modest tract of cultivated land interspersed among vast areas which never saw the plough. Furthermore, as will shortly be explained, the prevailing methods of cultivation condemned arable lands to lie fallow in at least one year out of two or three, often for several years at a time. Tenth and eleventh century society rested on occupation of a soil far from fully exploited; it was a society in which the connecting links were extended to the limit, where men lived in small isolated groups. This fact was fundamental to the age and determined many other of its essential features. Yet there was no break in continuity. Here and there a village might disappear – for example the villa of Paisson in the Tonnerrois, whose lands were later assarted by the inhabitants of a neighbouring place although the settlement itself was never revived – but the great majority survived, their fields reduced by a greater or lesser extent. In some localities there was a loss of traditional skills; the people of Poitou, for example, whom the Romans considered expert at marling, appear to have lost all knowledge of this art until its revival in the sixteenth century. But ancient prescriptions for the basic processes retained their virtue and were handed down from one generation to another.

2. L’âge des grands défrichements

2. The Age of Large-scale Land Clearance

Aux alentours de l’an 1050 — un peu plus tôt, peut-être, dans certaines régions particulièrement favorisées, comme la Normandie ou la Flandre, ailleurs un peu plus tard — s’ouvrit une ère nouvelle, qui devait prendre fin seulement vers le terme du XIIIe siècle : celle des grands défrichements, — selon toute apparence, le plus grand accroissement de la surface culturale dont notre sol ait été le théâtre, depuis les temps préhistoriques.

Around the year 1050 – in some favoured regions such as Normandy and Flanders perhaps a little earlier, in others somewhat later – a new era dawned, which was to last until the late thirteenth century. This was the period of large-scale clearances, and to all appearance it saw the most considerable additions to the total area of land under cultivation in this country since prehistoric times.

De ce puissant effort, l’épisode le plus immédiatement sensible est la lutte contre l’arbre.

Man’s most formidable obstacle was the forests, and it was in the forests that his efforts bore most obvious fruit.

Devant celui-ci, longtemps, les labours avaient hésité. C’était sur les étendues broussailleuses ou herbeuses, les steppes, les landes, que les agriculteurs néolithiques, favorisés, probablement, par un climat plus sec qu’aujourd’hui, avaient, de préférence, établi leurs villages, la déforestation eût imposé à leurs médiocres instruments une tâche trop rude. Depuis lors, sans doute, beaucoup de massifs feuillus avaient été entamés : sous les Romains, à l’époque franque encore. Ce fut, par exemple, « aux dépens des bois épais » (de densitate silvarum) que, vers le début du IXe siècle, entre Loire et Alène, le seigneur Tancrède conquit le terrain du village tout neuf de La Nocle. Surtout, la forêt du haut moyen-âge, la forêt de l’ancienne France, en général, même sans clairières de culture, était loin d’être inexploitée ou vide d’hommes.

The trees had for centuries halted the progress of the plough. Neolithic farmers, who probably enjoyed a drier climate than our own, set their villages in expanses of grassland, scrubland, heathland and steppe; the primitive implements at their disposal would have been inadequate for the task of deforestation. In Roman and Frankish times the efforts of woodsmen were apparently more successful. In the early ninth century for example, when Tancred needed land for his completely new village of Le Nocle, he took it from dense forest, de densitate silvarum. But even where there were no cultivated clearings, these forests of the early Middle Ages, the ancient forests of France, were by no means unexploited or empty of men.

Tout un monde de « boisilleurs », souvent suspect aux sédentaires, la parcourait ou y bâtissait ses huttes : chasseurs, charbonniers, forgerons, chercheurs de miel et de cire sauvages (les « bigres » des anciens textes), faiseurs de cendres, qu’on employait à la fabrication du verre ou à celle du savon, arracheurs d’écorces qui servaient à tanner les cuirs ou même à tresser des cordes. Encore à la fin du XIIe siècle, la dame de Valois entretient dans ses bois de Viry quatre serviteurs : l’un est un essarteur (nous sommes déjà au moment du défrichement), les trois autres, un poseur de pièges, un archer, un « cendrier ». La chasse, à l’ombre des arbres, n’était pas seulement un sport ; elle fournissait de cuir les tanneries urbaines ou seigneuriales, les ateliers de reliure des bibliothèques monastiques ; elle approvisionnait toutes les tables, voire les armées : en 1269, Alphonse de Poitiers, qui se préparait à la croisade, ordonna de tuer un grand nombre de sangliers, de ses vastes domaines forestiers de l’Auvergne, pour en emporter « outre-mer » les chairs salées. Aux habitants des lieux avoisinant, la forêt, en ces temps moins éloignés qu’aujourd’hui des antiques habitudes de la cueillette, offrait une abondance de ressources dont nous ne nous faisons plus idée. Ils allaient y quérir, bien entendu, le bois, beaucoup plus indispensable à la vie qu’en nos âges de houille, de pétrole et de métal : bois de chauffage, torches, matériaux de construction, planchettes pour les toitures, palissades des châteaux forts, sabots, manches de charrues, outils divers, fagots pour consolider les chemins. Ils lui demandaient, en outre, toutes sortes d’autres produits végétaux : mousses ou feuilles sèches de la litière, faînes pour en exprimer l’huile, houblon sauvage, et les âcres fruits des arbres en liberté — pommes, poires, alizes, prunelles — et ces arbres eux-mêmes, poiriers ou pommiers que l’on arrachait pour les greffer ensuite dans les vergers. Mais le principal rôle économique de la forêt était ailleurs, là où, de nos jours, nous nous sommes désaccoutumés de le chercher. Par ses feuilles fraîches, ses jeunes pousses, l’herbe de ses sous-bois, ses glands et ses faînes, elle servait, avant tout, de terrain de pâture. Le nombre des porcs que ses divers quartiers pouvaient nourrir fut, pendant de longs siècles, en dehors de tout arpentage régulier, la mesure la plus ordinaire de leur étendue. Les villageois riverains y envoyaient leur bétail ; les grands seigneurs y entretenaient à demeure de vastes troupeaux, et pour les chevaux de véritables haras. Ces hordes animales vivaient presque à l’état de nature. Au XVIe siècle encore — car ces pratiques se maintinrent longtemps — le sire de Gouberville, en Normandie, part, à de certains moments, dans ses bois, à la recherche de ses bêtes, et ne les trouve pas à chaque coup ; une fois, il ne rencontre que le taureau « qui clochoyt » et « qu’on n’avoyt veu passé deux moys » ; un autre jour, ses domestiques réussissent à prendre des « juments folles... lesquelles on avoyt failli à prendre puys deux ans » .

The forest had its own population, often highly suspect in the eyes of more sedentary folk, who roamed about the woods or lived in shacks they built themselves: huntsmen, charcoal-burners, blacksmiths, gatherers of wax and wild honey (described in the texts as bigres), dealers in wood-ash, which was important in the manufacture of glass and soap, and bark-strippers, whose wares were used for tanning hides or could be plaited to make cords. At the end of the twelfth century the lady of Valois employed four servants in her woods at Viry: one was an assarter (this was when land clearance was just beginning), one a trapper, a third an archer and the last an ‘ash-man’. Hunting in the shady forest was not merely a pleasant sport; it also produced hides for urban and seigneurial tanneries and for the binderies of monastic libraries; it supplied meat for everyone, including fighting-men – in 1269 Alphonse de Poitiers ordered the slaughter of a large number of wild boars from his great forests in the Auvergne, to provide salted carcasses for taking overseas on his projected crusade. In an age when the primeval instinct of foraging was nearer the surface than it is today, the forest had greater riches to offer than we perhaps appreciate. People naturally went there for wood, and a far greater necessity of life than in this age of oil, petrol and metal; wood was used for heating and lighting (in torches), for building material (roof slats, castle palisades), for footwear (sabots), for plough handles and various other implements, and as faggots for strengthening roadways. There was also demand for a wide variety of vegetable products, for mosses or dried leaves as bedding, for beechmast on account of the oil, for wild hops and the tart fruit of wild trees – apple, pear, cherry and plum – as also for some of the trees themselves (pear and apple), which were dug up to be used as orchard grafts. But the principal economic contribution of the forest was the role we no longer demand of it: the presence of fresh leaves, young shoots, grass in the undergrowth, acorns and beechmast made it a first-rate grazing ground. For centuries, in the absence of any standard measurement, the commonest way of indicating the size of a stretch of forest was by reference to the number of pigs it could sustain. Neighbouring villages sent their cattle into the forest, great lords kept vast herds there and even set up stud farms for their horses. These hordes of animals lived almost in a state of nature, and the habit died hard; even in the sixteenth century, the squire of Gouberville in Normandy had to take to the woods at certain times of the year to round up his stock, and could fail to find them all at one fell swoop. Once he met only the bull ‘who was limping’, ‘whom no-one had seen for two months past’; on another day his servants managed to catch ‘the wild mares… whom for two years none had contrived to take’.

Cette utilisation assez intense et en tout cas fort désordonnée avait progressivement diminué la densité des futaies. Qu’on songe seulement combien l’écorçage devait faire périr de beaux chênes ! Encombrée de troncs morts et souvent de buissons, qui la rendaient difficilement pénétrable, la forêt, au XIe et XIIe siècles, n’en était pas moins, par endroits, passablement clairsemée. Lorsque l’abbé Suger voulut faire choix, dans l’Iveline, de douze belles poutres pour sa basilique, ses forestiers doutèrent du succès de sa recherche et lui-même n’est pas éloigné d’attribuer à un miracle l’heureuse trouvaille qui, finalement, couronna son entreprise. Ainsi, raréfiant ou débilitant l’arbre, la dent des bêtes et la main des boisilleurs avaient, de longue date, préparé l’œuvre du défrichement. Pourtant, dans le haut moyen-âge, les grands massifs étaient encore si à part de la vie commune qu’ils échappaient, ordinairement, à l’organisation paroissiale dont le réseau s’étendait à toute la zone habitée.

As a result of this relatively intensive and quite unregulated exploitation the ranks of the trees became progressively thinner. Bark-stripping alone must have accounted for many a fine oak. By the eleventh and twelfth centuries, despite the obstructions offered by dead tree-trunks and some remaining thickets where penetration was difficult, there were already places where the woodland was sparse. Abbot Suger’s foresters were doubtful whether the forest of Iveline could produce the twelve massive timbers he needed for his basilica; Suger himself regarded the happy discovery which crowned his work as little short of a miracle. The hand of man and the tooth of beast had between them created such havoc among standing timber that the way was prepared for clearance on a larger scale. Even so, the great forests of the early Middle Ages were still so isolated from communal life that they remained largely outside the network of parochial organisation which covered every inhabited area.

Au XIIe, au XIIIe siècles, on se préoccupe activement de les y faire rentrer. C’est que, de toutes parts, ils se trouent de cultures, qu’il faut soumettre à la dîme, et se peuplent de laboureurs à demeure. Sur les plateaux, au versant des collines, dans les plaines d’alluvions, on les attaque par la hache, la serpe ou le feu. Bien rares, à vrai dire — si même il en fut —, ceux qui disparurent tout à fait. Mais beaucoup furent réduits à l’état de lambeaux. Souvent, perdant leur individualité, ils perdirent, peu à peu, leur nom. Jadis chacune de ces taches sombres au milieu du paysage agraire avait, comme les rivières et les principaux accidents du relief, sa place à elle dans un vocabulaire géographique dont les éléments remontaient, en bien des cas, plus haut que les langues dont l’histoire a conservé le souvenir. On disait la Bière, l’Iveline, la Laye, la Cruye, la Loge ; à partir de la fin du moyen-âge, on ne parlera plus guère, pour désigner les fragments de ces anciennes entités, que des forêts de Fontainebleau, de Rambouillet, de Saint-Germain, de Marly, d’Orléans ; une étiquette empruntée à une ville, ou à un pavillon de chasse (c’est comme terrain de chasse royale ou seigneuriale que la forêt désormais frappe surtout les imaginations) a remplacé le vieux mot, vestige de langages oubliés. A peu près vers le même temps où se déchirait le manteau arborescent des plaines, les paysans des vallées dauphinoises montaient à l’assaut des forêts alpestres que, du dedans, entamaient les établissements de moines ermites.

During the twelfth and thirteenth centuries deliberate efforts were made to bring them in. Patches of tilled land, ipso facto liable to tithe, could now be seen at every turn, and their tillers took up permanent residence. Forests on the uplands, hillsides and alluvial lowlands all came under attack from hatchet, billhook and fire. Very few, perhaps none, were totally destroyed, but a large number were reduced to a small remnant of their former extent. They often lost their names as well. There had been a time when, in common with rivers and the principal relief features, each of these sombre smudges on the agrarian landscape had its own place in a geographical vocabulary which descended from a period older than any whose memory has been conserved in the historic languages. By the end of the Middle Ages the ancient entities once known as Bière, Iveline, Laye, Cruye and Loge were reduced to fragments whose names were borrowed from a neighbouring hunting-lodge or township, Fontainebleau, Rambouillet, Saint-Germain, Marly and Orleans. Henceforward the forest was to be first and foremost the hunting-ground of kings and nobles. At much the same time as lowlands were losing their covering of trees, peasants of Dauphiné were mounting their attack on alpine forests which had already been broached from within by the settlements of hermit monks.

Gardons-nous cependant d’imaginer les défricheurs occupés uniquement à déterrer des souches. Les marais aussi les ont vus à l’œuvre, ceux de la Flandre Maritime et du Bas-Poitou notamment ; et aussi les nombreux espaces incultes jusque-là occupés par les buissons ou les herbes folles. C’est contre les broussailles, les tribules, les fougères et toutes « ces plantes encombrantes attachées aux entrailles de la terre » que la chronique de Morigny, déjà citée, nous montre les paysans acharnés à lutter, avec la charrue et la houe. Souvent même, semble-t-il, c’est à ces étendues découvertes que d’abord s’attaqua l’essartage ; la guerre contre la forêt ne vint alors qu’en second lieu.

It would be a mistake, however, to assume that land-clearance was achieved solely by uprooting trees. There was also much activity in the marshlands, particularly along the coasts of Flanders and in Bas-Poitou, and on many uncultivated wastes formerly covered with thickets or wild grasses. The chronicle of Morigny already mentioned tells us that brushwood, brambles, bracken and ‘all such obstructive plants rooted in the bowels of the earth’ were enemies attacked by peasants armed with plough and hoe. In fact assarting often seems to have started in open country of this type, and where this happened attack on the forest took second place.

Ces conquérants de la terre ont fréquemment formé de nouveaux villages, construits au cœur même de l’essart : agglomérations spontanées, comme ce hameau de Froideville, au bord du ruisseau de l’Orge, dont une curieuse enquête de 1224 nous montre l’établissement, au cours des cinquante dernières années, maison par maison , — plus souvent, créations, de toutes pièces, dues à quelque seigneur entreprenant. Parfois l’examen de la carte suffirait à déceler, à défaut d’autres documents, que tel ou tel centre d’habitat date de ce temps : les maisons se groupent selon un dessin régulier, plus ou moins voisin du damier, comme a Villeneuve-le-Comte, en Brie, fondée en 1203 par Gaucher de Châtillon, ou dans les « bastides » du Languedoc ; ou bien — en forêt surtout — elles s’alignent, avec leurs enclos, le long d’un chemin frayé tout exprès, et les champs s’étendent, en arêtes de poisson, de part et d’autre de cet axe central ; tel, en Thiérache, le hameau du Bois-Saint-Denis, ou, en Normandie, dans la grande forêt d’Aliermont, ces extraordinaires villages, bâtis par les archevêques de Rouen sur les deux branches d’une interminable route. Mais il arrive que ces indices manquent : les maisons se pressent comme au hasard, le terroir, par la disposition de ses parcelles, ne se distingue en rien des finages avoisinant. A qui ignorerait que Vaucresson, dans un vallon au sud de la Seine, fut fondé par Suger, le plan parcellaire n’en apprendrait rien. Souvent, c’est le nom qui est révélateur. Pas toujours, bien entendu. Plus d’un groupement tout neuf a pris simplement, dans la nomenclature, la suite du lieu inculte sur lequel il s’était construit : Torfou, par exemple, qui, pour seul éponyme, eut la hêtraie où Louis VI avait établi les défricheurs. Mais à l’ordinaire on a fait choix d’un terme plus expressif. Tantôt il rappelle, sans ambiguïté, le fait même du défrichement — les Essarts-le-Roi — ou le caractère récent du peuplement — Villeneuve, Neuville —, fréquemment avec un déterminatif qui évoque soit la qualité du seigneur — Villeneuve-l’Archevêque — soit quelque trait frappant, parfois idyllique, du paysage : Neuville-Chant-d’Oisel. Tantôt il met l’accent, opportunément, sur les avantages offerts aux habitants : Francheville, Sauvetat. D’autres fois, le fondateur baptise de son propre nom son enfant : Beaumarchès, Libourne. Ou bien encore, comme devaient le faire plus tard tant de colons d’outre-mer, on a cherché au nouveau village quelque parrainage illustre dans les anciens pays : Damiatte (Damiette, nom de ville et de bataille), Pavie, Fleurance (Florence). De même qu’il n’y a, aux États-Unis, pas moins de dix Paris, et que, dans la vallée du Mississipi, Memphis aujourd’hui voisine avec Corinthe, le Béarn vit au début du XIIIe siècle s’élever le village de Bruges auprès de celui de Gand, et vers le même temps, dans les bois humides de la Puisaye, entre Loire et Yonne, un seigneur, qui peut-être avait été à la croisade, bâtit, côte à côte, Jérusalem, Jéricho, Nazareth et Bethphagé.

The men responsible for such gains often established new villages in the heart of the assarted territory. Some were a spontaneous growth, like the hamlet of Froidville on the banks of the Orge, whose piecemeal development house by house over the previous fifty years can be traced from the record of an unusual inquest held in 1224; but the majority came into being following a set plan and were the creation of some enterprising lord. In the absence of other sources, examination of the map alone may be enough to show whether a settlement dates from this period; for example, the houses may be grouped in a regular chequer-board formation as at Villeneuve-le-Comte in Brie, founded in 1203 by Gaucher de Chatillon, and as in the bastides or fortified villages of Languedox; or, as is characteristic of forest villages, the houses and their adjoining plots may be strung out along a specially constructed road, with the fields spread out in herring-bone fashion on either side of this central axis. Examples of this last formation are the hamlet of Bois-Saint-Denis in the Thiérarche and those extraordinary Normandy villages in the great forest of Aliermont, built by the archbishops of Rouen all along the interminable length of two branching roads. But such indications may be lacking; one may find an apparently random huddle of houses and plots whose arrangement differs in no way from that of neighbouring parishes. Anyone who did not already know that Vaucresson, in a valley south of the Seine, owed its existence to Suger would certainly not deduce it from the lay-out of the plots. Often the name is the tell-tale factor, although admittedly it is not infallible as a guide, since more than one new settlement simply took over the name given to the place in the days before it was cultivated – Torfou, for example, which owed its name to the beech-grove cleared by its first settlers with the consent of Louis VI. But as a rule a new settlement has a more expressive name. It may take the form of a direct reference to the fact of clearance, Essarts-le-Roi, for example, or to recent occupation of the site, Villeneuve, Neuville, perhaps with some distinguishing suffix to commemorate the rank of the founder – Villeneuve-l’Archévêque – or some feature of the surrounding country, as in the idyllic Neuville-Chant-d’Oisel. Some names have an opportunist ring, stressing the privileges open to inhabitants: Francheville, Sauvetat. Sometimes the founder uses his own name, for example Beaumarchais and Libourne. Or again, as so often happened later with colonies overseas, some illustrious godparent might be appropriated as namesake from the cities of older civilisations; for example Damietta, the Syrian city and battlefield, inspired Damiatte, Florence gave rise to Fleurance and Pavia to Pavie. Just as in the United States there are at least six places called Paris, and Memphis and Corinth stand almost side by side on the banks of the Mississippi, so we find Bruges and Ghent cheek by jowl in Béarn during the early thirteenth century, while a lord who had perhaps been on a crusade was building Jerusalem, Jericho, Nazareth and Bethphage in the humid forests of La Puisaye, between the Loire and the Yonne.

Quelques-uns de ces lieux de nouvelle fondation sont devenus des bourgs importants, voire des villes. Beaucoup par contre demeurèrent assez petits, surtout dans les anciennes forêts : non par inaptitude à se développer, mais parce que le mode même du peuplement le voulait ainsi. Sous bois, la circulation était malaisée, peut-être dangereuse. Souvent les défricheurs trouvaient avantage à se répartir en groupes peu nombreux, dont chacun découpait, parmi les arbres, un terroir de faible amplitude. Entre les plaines nues de la Champagne et de la Lorraine, où l’habitat est des plus concentrés, l’Argonne interpose encore aujourd’hui la marqueterie de ses menus villages forestiers. Dans les bois au sud de Paris, une paroisse, formée de plusieurs petites agglomérations, portait indifféremment, par une alternance caractéristique, les noms de Magny-les-Essarts et de Magny-les-Hameaux. Il semble bien que vers la fin de l’époque romaine, dans le haut moyen-âge, les hommes, dans une grande partie de la France, aient eu, plus que par le passé, tendance à se serrer les uns contre les autres ; parmi les lieux habités qui disparurent alors, plusieurs étaient des hameaux, viculi, et nous savons que parfois ils furent abandonnés pour des raisons de sécurité. Les grands défrichements amenaient de nouveau les cultivateurs à s’égailler.

Some new foundations developed into large towns, cities even. But there were plenty which stayed quite small, especially those in the ancient forests; it was not so much that they lacked opportunities for growth but that the manner of colonisation imposed its own restrictions. Movement among the woods was difficult and could be dangerous. Assarters found it safer to split up into little groups, each making its own modest clearing among the trees. The Argonne with its patchwork of minute forest villages still stands out between the densely populated open spaces of Champagne and Lorraine. In the forest to the south of Paris a parish formed from several small settlements had two names, Magny-les-Hameaux and Magny-les-Essarts, and was equally familiar under either; the interchange is characteristic. It seems that over large parts of France during the late Roman and early medieval periods there was a tendency for men to close their ranks; we know that reasons of security led to the desertions of a number of small hamlets or viculi in this period. The large-scale clearances, when they came, led to further dispersals.

Faisons y bien attention cependant : qui dit hameau, dit encore habitat groupé, si restreint que soit le groupe. La maison isolée est toute autre chose ; elle suppose un autre régime social et d’autres habitudes ; la possibilité et le goût d’échapper à la vie collective, au coude à coude. La Gaule romaine, peut-être, l’avait connue ; encore faut-il observer que les villae dispersées à travers champs, dont l’archéologie a retrouvé les traces, réunissaient un nombre sans doute assez important de travailleurs et peut-être les logeaient dans des cabanes, disposées autour de la demeure du maître, faibles constructions dont les vestiges ont fort bien pu s’effacer. En tout cas, depuis les invasions, ces villae avaient été détruites ou délaissées. Même dans les régions où, comme nous le verrons par la suite, le gros village semble avoir toujours été ignoré, c’est par petites collectivités que, dressant leurs huttes à côté les unes des autres, vivaient les paysans du haut moyen-âge. Il était réservé à l’âge des défrichements de voir s’élever, outre les villages ou hameaux nouveaux, ça et là des « granges » écartées (e mot grange, pourvu d’un sens plus large qu’aujourd’hui, désignait alors l’ensemble des bâtiments d’exploitation). Beaucoup d’entre elles furent l’œuvre d’associations monastiques, — non des anciens établissements bénédictins, constructeurs de villages, mais de formations religieuses nouvelles, nées du grand mouvement mystique qui marqua de son sceau le XIe siècle finissant. Les moines de ce type furent de grands défricheurs, parce qu’ils fuyaient le monde. Souvent des ermites, qui n’appartenaient à aucune communauté régulière, avaient, dans les forêts où ils s’étaient réfugiés, commencé à tracer quelques cultures ; à l’ordinaire ces indépendants finirent par entrer dans les cadres d’ordres officiellement reconnus. Mais ces ordres même étaient pénétrés d’esprit érémitique. De leurs règles, celle du plus illustre d’entre eux, l’ordre cistercien, peut être prise pour type. Point de rentes seigneuriales : le « moine blanc » doit vivre du travail de ses mains. Et un isolement, au moins au début, farouchement gardé. Comme l’abbaye elle-même, toujours bâtie loin des lieux habités — le plus souvent dans un vallon boisé dont le ruisseau, grâce à un opportun barrage, fournira les vivres nécessaires à l’observation du maigre —, les « granges », qui essaiment autour d’elle, évitent le voisinage des demeures paysannes. Elles s’établissent dans des « déserts », où les religieux, assistés de leurs frères convers, et aussi, bien vite, de serviteurs salariés, labourent quelques champs. Autour s’étendent des terrains de pâture, car l’ordre possède de grands troupeaux, de moutons surtout : l’élevage, plus que la culture, convenait à de vastes exploitations, que les statuts interdisaient de morceler en tenures, et à une main-d’œuvre forcément limitée. Mais jamais, ou peu s’en faut, la grange, pas plus que le monastère, n’est devenue le centre d’une « ville neuve » ; c’eût été, en mêlant les moines aux laïques, violer le fondement même de l’institution cistercienne. Ainsi une idée religieuse a déterminé un mode d’habitat. Ailleurs, d’autres exploitations isolées se créèrent, peut-être à l’imitation des fondations monastiques. Il ne semble pas qu’elles aient jamais été l’œuvre de simples rustres. Elles furent, pour la plupart, établies par de riches entrepreneurs de défrichements, moins asservis que les humbles gens aux habitudes communautaires : tel ce doyen de Saint-Martin qui, en 1234, dans la forêt briarde de Vernou, éleva la belle grange, soigneusement enclose d’un bon mur, pourvue d’un pressoir et protégée par une tour, dont le cartulaire de Notre-Dame de Paris nous a conservé une vivante description. De nos jours encore, dans nos campagnes, à quelque distance des villages, il n’est point rare de rencontrer de ces grandes fermes qui, par quelque détail d’architecture un mur anormalement épais, une tourelle, le dessin d’une fenêtre révèlent leur origine médiévale.

We must be careful, however, to make some necessary distinctions. The term hamlet definitely implies occupation by a group, however small. An isolated farmstead is something else again, implying a different social order and different customs, based on a rejection of the cheek by jowl existence of communal living. Settlements of this kind were probably not unknown in Roman Gaul; the villae dispersed among the fields, where their remains have been uncovered by archaeologists, must have brought together a considerable labour force which was perhaps housed in cabins arranged around the principal dwelling, flimsy structures which could well have disappeared without trace. However this may be, with the invasions these villae were destroyed or abandoned. The peasants of the early Middle Ages lived side by side in communal groups, an arrangement which obtained even in regions which, as we shall see, remained innocent of large villages. It is not until the era of land reclamation that we find isolated ‘granges’ springing up here and there in addition to the new villages and hamlets. Many such granges were established by monastic communities, usually offshoots of the new religious orders thrown up by the great spiritual movement which set its seal on the late eleventh century; where the older Benedictines had founded villages, the monks of the new style, in flight from the world, were assarters on a grand scale. Hermits living in the forests and unattached to any regular community had already made some attempts at tilling the ground round their cells. Although these independent spirits often finished up as members of officially recognised orders, the orders themselves tended to be eremitical in outlook. The Rule of the most famous of them, the Cistercians, can be taken as typical: the order was not to live from rents; ‘White Monks’ should live by the labours of their hands. Cistercian isolation was zealously protected, at least in the beginning. The abbey itself was always situated in some place remote from human habitation – usually in a wooded valley, whose stream, thanks to a convenient weir, could supply the type of food demanded by rules of monastic abstinence; and the subsidiary ‘granges’ also avoided the neighbourhood of peasant dwellings. They were established in ‘desert solitudes’, where the religious, assisted by lay brothers and quite soon by paid labour as well, ploughed and worked a few fields of arable. The adjacent land was given over to grazing, for the order was rich in flocks, particularly sheep; on large estates which could not be divided into tenures (because living from rents was prohibited) and where the labour force was inevitably restricted, animal husbandry, animal husbandry was a better proposition than agriculture. But it never happened (or so rarely as to make no difference) that a grange or abbey became the nucleus of a ville neuve; this would have led monks to mingle with laymen and so violate the basic principle of the order. In the grange, then, we have a type of settlement whose form was determined by a monastic ideal. There were other isolated estates of the same type, founded perhaps in conscious imitation. It seem they were never the spontaneous creation of ordinary country people. The majority owed their existence to wealthy promoters of land-clearance, whose attachment to communal habits were naturally less binding than that of the humbler folk; for example, there was the prudent dean of St. Martin’s who in 1234 erected the handsome grange in the forest of Vernou in Brie, providing it with stout walls, a wine-press and a tower, all vividly described in the cartulary of Notre-Dame de Paris. Even nowadays it is by no means rare to come across a large farm at some distance from a village, whose medieval origin is revealed by some significant architectural detail, an abnormal thickness in the walls maybe, or a turret, or the shape of a window.

Mais ce serait diminuer étrangement l’œuvre de défrichement que de la croire bornée aux alentours de centres d’habitat nouveaux. Les terroirs constitués de longue date autour d’agglomérations séculaires s’accrurent eux aussi, par une sorte de bourgeonnement régulier ; aux champs labourés par les ancêtres, d’autres champs vinrent s’accoler, conquis sur les landes ou les boqueteaux. Le bon curé de La Croix-en-Brie qui écrivit, vers 1220, la neuvième branche du « Roman de Renart », sait bien que tout vilain aisé, à cette date, a son « novel essart ». Ce lent et patient travail a laissé dans les textes des traces moins éclatantes que les fondations de « villes neuves ». Il y transparaît cependant, à la lumière, notamment, des conflits que provoquait l’attribution des dîmes sur ces « novales ». Certainement une partie considérable, la plus considérable peut-être, du sol gagné à la culture le fut dans le rayon d’action des anciens villages et par leurs habitants.

But to think of land clearance only in terms of the areas surrounding new settlements would be to distort and diminish the total achievement. Much older fields, attached to settlements of much greater antiquity, were also enlarged, by more or less systematic accretion as land won from heathland or thicket was added to fields tilled since time immemorial. The worthy priest of La Croix-en-Brie who wrote the ninth continuation of “Roman de Renart” c. 1220 knew that every rogue had his ‘novel essart’. This slow and patient labour shows up less clearly in the texts than is the case with the villes neuves, and the evidence comes chiefly from records of disputes provoked by the tithes levied on novales. What seems certain is that a sizeable, perhaps even the major, part of the fresh land brought under cultivation was land which depended on the older villages and was reclaimed by their inhabitants.

Lorsque les études de détail qui nous font encore défaut auront été exécutées, nous constaterons sans doute dans cette conquête par la charrue de fortes variations régionales : différences d’intensité, de dates surtout. Le défrichement s’est accompagné çà et là de migrations : des pays pauvres vers les pays riches, des pays où la culture ne trouvait plus rien d’utile à exploiter vers ceux où les bonnes terres abondaient encore. Aux XIIe et XIIIe siècles, des Limousins, puis des Bretons viennent s’établir dans la région boisée, sur la rive gauche de la Basse Creuse ; des Saintongeais aident à coloniser l’Entre-Deux-Mers. Pour l’instant nous ne pouvons qu’entrevoir certains grands contrastes. Le plus remarquable oppose, à l’ensemble de la France, le Sud-Ouest. Là, visiblement, le mouvement a commencé plus tard et s’est prolongé plus longtemps que, par exemple, dans les pays de la Seine et de la Loire. Pourquoi ? Selon toute vraisemblance, c’est au-delà des Pyrénées qu’il faut chercher le mot de l’énigme. Pour peupler les immenses espaces vides de la péninsule ibérique, notamment sur les confins des anciens émirats musulmans, les souverains espagnols durent avoir recours à des éléments étrangers ; de nombreux Français, attirés par les avantages qu’offraient les chartes de « poblaciones », passèrent les cols, les « ports ». Nul doute que la plupart d’entre eux ne vinssent des pays immédiatement limitrophes, de la Gascogne surtout. Cet appel de main-d’œuvre, tout naturellement, retarda, dans les contrées d’où la migration était partie, l’épanouissement de la colonisation intérieure.

Once the detailed studies we now lack become available, we shall no doubt discover that the progress made by the plough at any one period varied considerably in extent from region to region. In some places clearance was linked with migration, as people moved from poorer to richer soil, and from over-exploited fields to regions where virgin lands were still abundant. In the twelfth and thirteenth centuries the wooded region on the left bank of the lower Creuse was settled first by Limousins and later by Bretons; the region known as Entre-deux-Mers (between the Garonne and the Dordogne) was colonised with the help of migrants from Saintongue. But in the present state of our knowledge the only differences we can appreciate are the most obvious ones, above all the time-lag between the progress of the movement over France as a whole as compared with the regions of the South-West, where reclamation started later and continued longer than, for example, in the lands of the Seine and Loire. The explanation is probably to be found in events taking place on the far side of the Pyrenees. The rulers of Spain were obliged to attract aliens to populate the great empty spaces of the Iberian peninsula, which were most extensive on the borders of the former Muslim emirates; not surprisingly a number of Frenchmen found their way south through the Pyrenean passes, drawn by the privileges held out in charters of poblaciones. There can be no doubt that most of the immigrants came from the parts of France nearest to Spain, above all Gascony, or that this drain on the labour force entailed a postponement of internal colonisation.

Aussi bien — l’observation qui précède suffirait à nous le rappeler — nous touchons ici à un phénomène d’ampleur européenne. Ruée, vers la plaine slave, des colons allemands ou néerlandais, mise en valeur des déserts de l’Espagne du Nord, développement urbain par toute l’Europe, en France, comme dans la plupart des pays environnant, défrichement de vastes surfaces, jusque-là incapables de porter moisson, — autant d’aspects d’un même élan humain. La caractéristique propre du mouvement français, comparé, par exemple, à ce qu’on peut constater en Allemagne, fut sans doute — Gascogne à part — d’avoir été presque tout intérieur, sans autre déversoir vers le dehors que la faible émigration des croisades ou encore, soit vers les terres de conquête normande, soit vers les villes de l’Europe Orientale, de la Hongrie notamment, quelques départs isolés. Il en reçut une intensité particulière. En somme les faits sont clairs. Mais la cause ?

The point may serve as a reminder that the movement was a European phenomenon. It took a number of different forms: the steady stream of colonisers from Germany and the Netherlands towards the Slavonic plains, the cultivation of the wastes of northern Spain, the growth of towns all over Europe, and, in France and her neighbours at least, the clearance of large tracts of country hitherto barren. Gascony apart, colonisation in France (as compared with what we know of it in Germany for example) was distinguished by the absence of any outward movement other than the inconsiderable migration which attended the crusades and the occasional transfer of population en masse, to lands conquered by the Normans for example, or to the cities of Eastern Europe, especially those of Hungary; French colonisation was an almost exclusively internal and unusually intensive operation. The facts of the matter are clear enough, the underlying causes less so.

Certes, les raisons qui amenèrent les principaux pouvoirs de la société à favoriser le peuplement n’ont rien de bien difficile à pénétrer. Les seigneurs, en général, y avaient intérêt parce qu’ils tiraient de nouvelles tenures ou de tenures accrues des redevances nouvelles : d’où l’octroi, aux colons, comme appât, de toutes sortes de privilèges et de franchises et parfois le déploiement d’un véritable effort de propagande : dans le Languedoc on vit des hérauts parcourir le pays, annonçant à son de trompe la fondation des « bastides » . D’où aussi cette sorte d’ivresse mégalomane, qui semble s’être emparée de certains fondateurs : tel l’abbé de Grandselve prévoyant, un jour, l’établissement de mille maisons, ailleurs de trois mille.

There is no great difficulty in understanding why the more powerful elements in society favored colonisation and expansion. The interest of the landlords, generally speaking, was engaged by the extra revenues they could expect from new or enlarged holdings: hence the inducements to colonists in the form of privileges and franchises of all sorts, sometimes promoted by what can only be described as a propaganda campaign – in Languedoc heralds rode round the countryside proclaiming the foundation of bastides to the sound of the trumpet. Hence also the kind of megalomaniac intoxication which appears to have possessed some proprietors, for example the abbot of Grandselve, with his vision of a thousand new houses, which tripled almost from one moment to the next.

A ces motifs, communs à toute la classe seigneuriale, les seigneurs ecclésiastiques en ajoutaient d’autres, qui leur étaient propres. Pour beaucoup d’entre eux, depuis la réforme grégorienne, une grande part de leur fortune consistait en dîmes ; celles-ci, proportionnelles à la récolte, rapportaient d’autant plus que les labours étaient plus étendus. Leurs domaines étaient constitués à coups d’aumônes ; mais tous les donateurs n’étaient pas assez généreux pour céder volontiers des terres sous moissons : il était souvent plus aisé d’obtenir des espaces incultes, qu’abbaye ou chapitre faisaient ensuite essarter. Le défrichement exigeait, à l’ordinaire, une mise de fond, probablement des avances aux cultivateurs, en tout cas l’arpentage du terrain et, s’il y avait création d’une exploitation réservée au seigneur, son établissement. Les grandes Communautés disposaient, en général, de trésors assez bien fournis, qu’il était tout indiqué d’employer ainsi. Ou, si la communauté elle-même ne le pouvait ou ne le voulait, elle trouvait sans trop de peine les ressources nécessaires chez un de ses membres ou chez un clerc ami, qui moyennant un honnête bénéfice, se chargeait de l’opération. Moins répandus en France qu’en Allemagne, les entrepreneurs de défrichements, cependant, n’y ont pas été un type social inconnu. Beaucoup d’entre eux furent des hommes d’Église : dans la premières moitié du XIIIe siècle, deux frères, qui devaient atteindre aux plus hautes dignités du clergé français, Aubri et Gautier Cornu, prirent ainsi à l’entreprise — quitte à distribuer ensuite les lots à des sous-entrepreneurs — l’essartage de nombreux terrains, découpés dans les forêts de la Brie. L’état des documents ne permet point de mesurer exactement, dans la grande œuvre de mise en valeur des friches, la part des prélats ou religieux d’un côté, des barons laïques de l’autre. Mais que le rôle du premier élément ait été de première importance, on n’en saurait douter ; les clercs avaient plus d’esprit de suite et des vues plus larges.

Ecclesiastical landlords had motives of their own, in addition to those they shared with the seigneurial class as a whole. In the period after the Hildebrandine reforms, churchmen were now largely dependent on tithes for their revenues; and since the amount paid in tithe was proportionate to the return from the soil, the more land was under cultivation the better. Ecclesiastical estates were built up from charitable donations; but the benefactors were not always generous enough to grant away land already in production. It was often easier to acquire uncultivated stretches, which the abbey or chapter proceeded to clear and cultivate. Land reclamation normally required the investment of capital; it might also be necessary to make advances to those who cultivated it and certainly to have the ground surveyed; where all or part of an estate was to be reserved for direct exploitation by the lord, suitable provision had to be made. Large communities usually had quite ample resources which could legitimately be used for these purposes. If a community was unwilling or unable to draw on its own reserves, there was no great difficulty in finding what was needed from one of its own members, or from some well-disposed cleric prepared to take charge of the operation in return for a handsome benefice. Although a less familiar figure in Germany, the ‘clearance contractor’ was by no means unknown in France. Many were ecclesiastics: in the first half of the thirteenth century the brothers Aubri and Gautier Cornu, both destined for high rank among the French clergy, agreed under contract to clear several parcels of land carved from the forest of Brie, and discharged their task by distributing the lots among the sub-contractors. It is impossible in the present state of our evidence to apportion credit for the great work of clearing the waste between prelates and religious on the one hand and secular lords on the other. But there can be no doubt that the churchmen, with their more consistent habit of thought and wider range of vision, played a very important part.

Enfin sur les rois, les chefs des principautés féodales, les grands abbés, d’autres considérations encore, outre celles qu’on vient de voir, exercèrent leur action. Souci de la défense militaire : les « bastides » du Midi, villes neuves fortifiées, gardaient, en ce pays contesté, les points d’appui de la frontière franco-anglaise. Préoccupation de la sécurité publique : qui dit population serrée dit brigandage moins aisé. Plusieurs chartes donnent expressément, pour motifs des fondations, le désir de porter la hache dans une forêt, jusque-là « repaire des larrons », ou d’assurer « aux pèlerins et aux voyageurs » un passage paisible dans une contrée longtemps infestée de malfaiteurs. Au XIIe siècle, les Capétiens multiplièrent les nouveaux centres d’habitat, tout le long de la route de Paris à Orléans, axe de la monarchie, pour la même raison que, au XVIIIe, les rois d’Espagne sur la voie, mal famée, qui réunissait Madrid à Séville.

Lastly, there was the defence factor, which weighed with monarchs and the heads of feudal principalities, including the great abbots; in the hotly contested territories of the Midi, for example, it was the new fortified villages or bastides which protected bases lying along the Anglo-French frontier. There was also the question of public order: the denser the population, the less scope there was for brigands. Several charters expressly state that a grant has been prompted by the urgent need to take an axe to some forest ‘hitherto a den of robbers’ or to guarantee safe passage for ‘pilgrims and travellers’ journeying across territory long infested with criminals. In the twelfth century the Capetians established new centres of settlement all along the road from Paris to Orleans, the axis of their monarchy, thus foreshadowing the policy adopted by the Spanish kings in the eighteenth century when faced with the same problem on the notorious road between Madrid and Seville.

Cependant, que nous apprennent ces observations ? Elles éclairent le développement du phénomène : son point de départ, non pas. Car, en fin de compte, pour peupler il faut avant tout des hommes et pour défricher (en l’absence de grands progrès techniques, inconnus, certainement, des XIe et XIIe siècles) il faut de nouveaux bras. A l’origine de ce prodigieux bond en avant dans l’occupation du sol, impossible de placer une autre cause qu’un fort accroissement spontané de la population. Par là, à vrai dire, le problème n’est que reculé et, dans l’état actuel des sciences de l’homme, rendu à peu près insoluble. Qui a jamais, jusqu’ici, véritablement expliqué une oscillation démographique ? Contentons-nous donc de noter le fait. Dans l’histoire de la civilisation européenne en général, de la civilisation française en particulier, il n’en est guère de plus lourd de conséquences. Entre les hommes, désormais plus proches les uns des autres, les échanges de toute sorte — matériels, intellectuels aussi — sont alors devenus plus aisés et plus fréquents qu’au cours de tout notre passé ils ne l’avaient sans doute jamais été. Pour toutes les activités, quelle source de renouveau ! M. Bédier a parlé quelque part de ce siècle qui, en France, a vu « le premier vitrail, la première ogive, la première chanson de geste » ; ajoutons, dans toute l’Europe, la renaissance du commerce, les premières autonomies urbaines et, en France encore, dans l’ordre politique, la reconstitution de l’autorité monarchique, qu’accompagne — autre symptôme du déclin de l’anarchie seigneuriale — la consolidation intérieure des grandes principautés féodales. Cet épanouissement, c’est la multiplication des hommes qui l’a rendu possible, c’est le hoyau ou la serpe du défricheur qui l’a préparé.

The foregoing observations are valuable for the light they shed on the progress of land clearance, but still tell us nothing of the circumstances which made it possible. Now the one essential prerequisite for colonisation is a ready supply of colonists; and land reclamation is impossible unless the existing labour force can be augmented – though in this context it would be more correct to say it was impossible in the absence of technological advance on a scale far beyond the grasp of eleventh and twelfth century societies. So it looks as though only a spontaneous and significant increase in population can account for the immense advances made at this period in the occupation of the soil. Admittedly this merely pushes the problem one stage further back, into a position where at present it must remain insoluble: has anyone yet offered a convincing explanation for demographic fluctuation? We must content ourselves with registering the population increase as a fact. We can, however, go on to remark that few other events in the history of European civilisation, and of French civilisation in particular, have had such weighty consequences. There is no doubt that it promoted greater ease and frequency of exchange between men, since people were now brought closer together than at any earlier time in our history. This interchange took place on various levels, intellectual as well as material, and proved a potent source of rejuvenation in every field of endeavour. Bédier somewhere remarks that in France this century saw ‘the first stained-glass window, the first pointed arch and the first chanson-de-geste’. We might add that in Europe as a whole it saw the revival of trade and the beginnings of urban self-government, and in France, on the political plane, the recovery of monarchical authority accompanied by interior consolidation of the great feudal principalities, a further symptom that seigneurial anarchy was on the wane. All this blossoming was made possible by the increase in population; and the ground had been prepared by the mattocks and billhooks of assarters.

3. Des grands défrichements médiévaux à la révolution agricole

3. Medieval Land Clearance to the Agricultural Revolution

Aux approches de l’an 1300, ici plus tôt, là plus tard, la conquête des terres nouvelles se ralentit et finit par cesser tout à fait. Pourtant il subsistait encore beaucoup de terrains boisés ou en friche. Certains d’entre eux, à vrai dire, étaient nettement impropres à la culture ou du moins ne promettaient qu’un rendement trop faible pour justifier les peines et les dépenses de la mise en valeur. Mais d’autres qui probablement, même avec la technique un peu sommaire du temps, eussent été susceptibles d’exploitation lucrative, ne furent pas attaqués. Pourquoi ? Manque de bras ? Peut-être : les ressources du peuplement n’étaient pas inépuisables et nous connaissons, de ci de là, des tentatives d’établissement de villages qui, faute d’hommes, échouèrent. Mais surtout il semble bien que le défrichement était allé à peu près aussi loin que les possibilités agricoles le permettaient. Car ni forêt, ni lande ne pouvaient indéfiniment être transformées en labours. Où eût-on envoyé paître les bestiaux ? où eût-on pris tous les produits que livrait la forêt ? Le salut de celle-ci principalement intéressait les puissants : à cause de l’agrément qu’ils en tiraient pour leur chasse, à cause aussi des gains, bien plus considérables que jadis, qu’il était désormais raisonnable d’en attendre. Les villes avaient grandi, mangeuses de poutres et de bûches ; dans les campagnes beaucoup de maisons nouvelles s’étaient élevées, beaucoup de nouveaux foyers brûlaient ; souvent, à l’ombre même des ramures, les forges s’étaient multipliées. D’autre part, les surfaces plantées d’arbres, mordues par l’essartage, avaient partout diminué. Raréfaction de la denrée, accroissement de la demande, devant ces facteurs classiques du renchérissement, comment s’étonner que le bois fût tenu désormais pour une marchandise de prix et qu’on vît les maîtres des forêts plus attentifs, dorénavant, à ménager leurs futaies ou leurs taillis que désireux de les remplacer par des champs ? A dire vrai, dès l’origine, ce n’est pas la nature seule que les défricheurs avaient eu à combattre. Les villageois, habitués à profiter de la pâture ou à puiser dans les richesses spontanées de la forêt, défendaient leurs droits. Souvent — surtout lorsque quelque seigneur, partageant leurs intérêts ou pourvu, à quelque titre que ce fût, de privilèges forestiers, soutenait leur résistance — il fallait plaider contre eux ou les indemniser ; les archives sont pleines de ces transactions. Gardons-nous de penser que la lutte se soit toujours bornée à un pacifique débat judiciaire ni que, mêlée ou non de violences, elle ait uniformément tourné à l’avantage des labours. Ce n’est pas un fait isolé que l’aventure de cette villeneuve, établie vers 1200 par un certain Frohier dans les taillis sur la rive droite de la Seine, qui, attaquée par les gens de Moret et de Montereau, usagers du bois, détruite ensuite par ordre du chapitre de Paris, ne fut jamais rebâtie. Vers le même temps, à l’autre bout du pays, sur la côte de Provence, les gens du village de Six-Fours se préoccupaient de mettre un frein, sur leurs pâtis, aux progrès de la culture. Pourtant, au début, les espaces incultes étaient si nombreux et les intérêts attachés à l’extension des cultures si forts que la charrue, en général, l’emporta. Puis, l’équilibre à peu près atteint, le grand effort d’occupation, qui avait eu le temps de changer la figure agraire de la France, s’arrêta.

Around the year 1300, earlier in some places, later in others, the attack on virgin lands slowed down and finally ceased, despite the fact that there was plenty of ground still occupied by woodland or waste. Some of this was admittedly either quite unsuitable for cultivation or so unpromising as to offer no adequate return to justify the labour and expense of reclamation. But there was other land which might have been profitable to work, even with the somewhat crude techniques of the time, but yet remained unexploited. One reason may well have been a dearth of man-power; the labour supply was not inexhaustible, and we know of at least some attempted village settlements which failed from underpopulation. But the chief reason seems to have been that reclamation had come close to the reasonable limit. There was no point in continuing the conversion of forest and heath into ploughlands indefinitely. If deforestation continued, where would the animals graze? Where would men look for the natural products they could get from the forest? The preservation of the forest was of particular concern to the leading members of society; as a hunting ground it was the scene of their pleasure, as a source of profit it was valuable as never before. Towns were growing up, to be devourers of beams and billets; the countryside was dotted with new houses where new hearths burned; more and more forges were being set up, often in the very shadow of the trees. Assarting, on the other hand, had entailed the nibbling away of the total area of land planted with trees. All things considered – growing scarcity and increased demand, the two classic elements of a price rise – it was no wonder that timber was now regarded as a valuable commodity or that the lords of the forest were more interested in squeezing the most out of their timber and kindling than in converting woodlands and coppices into arable. It should also be remembered that nature had never been the only enemy in the way of land clearance. Villagers accustomed to benefit from the grazing or the free enjoyment of the forest’s wealth had always fought to defend their rights. It was often necessary to sue them or buy them off, especially where they had the support of some lord who shared their interest or by whatever title claimed forest privileges; the archives are full of records relating to litigation of this kind. It would be a mistake to imagine that the disputes were always conducted according to the rules of orderly legal pleading; and just as wrong to assume, whether force was used or not, that the decision always went in favour of tillage. The fate of the ville neuve established c. 1200 by a man named Frohier among the coppices on the right bank of the Seine was not unique; attacked by the villagers of Moret and Montereau, who had rights of common in the wood, the place was demolished by order of the chapter of Paris and never rebuilt. At much the same time, but at the other end of the country, the villagers of Six-Fours on the coast of Provence were busy resisting the advance of tillage at the expense of their pastures. In the early days of land clearance however, when so much land lay uncultivated and the arguments in favour of tillage were strong, the plough usually won the day. Later, when a rough balance had been achieved, the great drive to occupy the soil was halted, though not before the agrarian face of France had been decisively altered.

Pendant de longs siècles, on eut fort à faire pour maintenir les gains acquis. La seconde moitié du XIVe siècle et le XVe tout entier — nous aurons à y revenir — furent en France, comme dans presque toute l’Europe, mais plus encore qu’ailleurs, une époque de dépeuplement. Une fois la Guerre de Cent Ans finie et les grandes pestes diminuées d’intensité, la tâche qui s’offrit aux seigneurs comme aux paysans fut, non de créer des villages nouveaux ou d’agrandir les terroirs, mais de rebâtir les villages anciens et de nettoyer leurs champs, envahis par la brousse ;

For centuries to come men had a hard struggle to preserve what had been achieved. The second half of the fourteenth and the whole of the fifteenth centuries – to which we shall return – was an era of declining population everywhere in Europe, in France even more than elsewhere. Once the Hundred Years’ War was over and the onslaughts of plague less violent, lords and peasants were faced with a common task: but their problem was not to make new villages and enlarge their fields but to rebuild old ones and free existing fields of encroaching brush.

il n’y parvinrent que lentement, parfois incomplètement. Dans tout l’Est — Bourgogne, Lorraine et sans doute dans d’autres régions qui n’ont pas encore été étudiées — les guerres du XVIe siècle, à leur tour, entraînèrent d’énormes ravages. Des villages, longtemps, restèrent abandonnés, les limites des parcelles quelquefois disparurent ; pour remettre un peu de régularité dans ce chaos il fallut souvent, une fois la tourmente passée, comme aujourd’hui, après la Grande Guerre, dans la zone dévastée, procéder à de véritables remembrements.

Progress was slow; in places the former level of occupation was by no means achieved before the wars of the seventeenth century in their turn created havoc throughout eastern France, in Burgundy and Lorraine and doubtless in other regions still to be studied. Some villages were left deserted over a long period, in some places the boundaries between plots completely disappeared; once the storm was over, a village often had to be reconstructed piece by piece, as happened in our own day in zones devastated by the Great War.

Pourtant, malgré ces troubles, le défrichement, depuis le XVIe siècle, avait par endroits repris — tant est tenace l’ardeur de l’homme à conquérir la terre ! — mais sans mouvement d’ensemble comparable à celui du moyen-âge. Ça et là, des marécages, ou bien d’anciens pâquis communaux étaient entamés ; dans certaines régions, comme le Jura septentrional, où l’essartage médiéval avait laissé encore beaucoup de sol vierge, quelques villes neuves furent fondées. L’initiative ne venait que rarement de la masse paysanne ; celle-ci en redoutait, beaucoup plutôt, les résultats préjudiciables aux droits des collectivités. Ces entreprises étaient surtout le fait de quelques seigneurs, de quelques gros propriétaires à demi-bourgeois que toute une transformation sociale portait alors vers une utilisation plus complète du sol. Les desséchements de marais, entrepris dans tout le royaume, sous Henri IV et Louis XIII, par une société de techniciens et d’hommes d’affaires où quelques grandes maisons de commerce — hollandaises pour la plupart — avaient placé leurs fonds, furent une des toutes premières applications des méthodes capitalistes à l’agriculture, Au XVIIIe siècle, toujours selon la même ligne, l’élan devint plus vigoureux ; des compagnies financières se fondèrent pour le soutenir, voire pour spéculer sur lui ; le gouvernement royal le favorisa. Même à ce moment, il n’atteignit pas, de loin, l’ampleur du travail médiéval : quelques landes ou sablonnières écornées, notamment en Bretagne et Guyenne, de grandes exploitations encore accrues, quelques exploitations nouvelles constituées, mais point de villages nouveaux et, dans l’ensemble, un gain médiocre. L’œuvre de la « révolution agricole » des XVIIIe et XIXe siècles était ailleurs : non plus étendre les labours aux dépens des friches — le progrès technique, intensifiant l’effort sur les bonnes terres, amena au contraire, par endroits, l’abandon de sols plus pauvres, auparavant occupés — mais, comme nous le verrons, par l’abolition de la jachère, chasser des labours eux-mêmes la friche jusque là périodiquement renaissante.

Despite all these setbacks, so tenacious is man in his contest with the soil that in some areas land reclamation started up again in the sixteenth century, although there was no general movement comparable with that of the Middle Ages. Here and there some progress was made in clearing marshlands, including some which had been common pastures; new villagers were established in certain regions, the northern Jura for example, where the medieval assarters had left considerable stretches virgin. The initiative for these ventures rarely came from the peasant community, more jealous than ever of their communal privileges. The credit must go to individual lords and a few semi-bourgeois land-owners, impelled by a radical transformation of society towards taking an interest in the fuller utilisation of the soil. The draining of marshlands, undertaken throughout the kingdom in the reigns of Henry IV and Louis XIII, provides one of the earliest examples of capitalist methods of agriculture; directed by an association of technical experts and business men, the operation was financed by a few large business-houses, mostly Dutch. The movement gained momentum in the eighteenth century, but still followed the same pattern; companies were founded for the express purpose of financing – or indeed speculating in – land reclamation, which now also received government patronage. Even so the results fell far short of the medieval achievement: there was some nibbling at the edges of heathlands and sand-dunes, notably in Brittany and Guienne, some large estates grew even bigger, a few new ones came into being; but no new villages were founded, and the total gain was unimpressive. The contribution of the ‘agricultural revolution’ of the eighteenth and nineteenth centuries lay elsewhere. It was no longer a question of bringing waste land under the plough – quite the reverse, since technical improvements which allowed fuller use of good soil also permitted the abandonment of poorer land which had formerly been cultivated. Instead, as we shall see, since there was no need to leave land fallow, the ploughlands themselves were no longer exposed to the regular resurgence of the encroaching waste.

Chapitre II.


La vie agraire

Chapter Two


Agrarian Life

1. Traits généraux de l’agriculture ancienne

1. General Characteristics of Ancient Agriculture

Un mot domine la vie rurale de l’ancienne France, jusqu’au seuil du XIXe siècle, un vieux mot de notre pays, sûrement étranger au latin, probablement gaulois, comme tant d’autres termes — charrue, chemin, somart ou sombre (dans le sens de jachère), lande, arpent — par où notre vocabulaire agricole témoigne éloquemment de l’antiquité de nos labours : le mot de blé. N’entendons point par ce nom, comme l’usage littéraire le veut aujourd’hui, le seul froment. Sous lui le parler des campagnes comprenait, au moyen-âge, et continua longtemps de comprendre, toutes les céréales panifiables, qu’elles donnassent le beau pain blanc, plaisir des riches, ou le pain noir, lourd de farines mêlées, que dévoraient les manants : avec le froment, le seigle — dont l’abus répandait le « feu Saint Antoine » — le méteil (mélange de froment et de seigle) l’épeautre, l’avoine, l’orge même. Le blé, en ce sens, couvrait, de beaucoup, la plus grande partie de la terre cultivée. Point de village, point d’exploitation qui ne lui consacrât le meilleur de ses champs. L’on en poussait la culture jusque dans les cantons où la nature eût pu sembler l’interdire : âpres pentes alpestres et, dans l’Ouest et le Centre, ces terrains mal perméables et sans cesse trempés de pluie qui, aujourd’hui, nous paraissent prédestinés aux herbages. « L’agriculture de la plus grande partie des provinces de la France », disent, en 1787 encore, les commissaires de l’Assemblée Provinciale de l’Orléanais, « peut être considérée comme une grande. fabrique de blé ». Les conditions de vie s’opposèrent longtemps à toute spécialisation rationnelle des sols. Le pain était, pour tous, un aliment essentiel ; pour les humbles, la base même de la nourriture quotidienne. Comment se procurer la précieuse farine ? L’acheter ? Mais cette solution eût supposé un système économique fondé sur les échanges. Or ceux-ci, sans avoir, vraisemblablement, jamais été tout à fait absents, furent, pendant de longs siècles, rares et difficiles. Le plus sûr était encore pour le seigneur de faire ensemencer sur son domaine, pour le paysan d’ensemencer lui-même, sur sa tenure, les champs, pères des miches. Et restait-il au seigneur ou au riche laboureur quelques grains de trop dans leurs sacs ? l’espoir était toujours permis de les écouler vers les régions où les moissons avaient manqué.

Down to the eve of the nineteenth century the rural life of France is dominated by a single, ancient and probably indigenous word, blé, which owes nothing to Latin, and may well be of Gallic origin, like numerous other words in our agrarian life – charrue, chemin, somart or sombre (in the sense of fallow land), lande, and arpent. During the Middle Ages, and for a long time after, blé was not restricted to wheat, as seems to have become the modern literary usage; in the language of the countryside blé covered all cereals from which bread could be made, whether it was the fine wheat bread which delighted the rich or the heavy black bread of the peasants, which might contain wheat, rye – which when diseased caused the spread of erysipelas – maslin (a mixture of wheat and rye), spelt, oats or even barley. By far the greater part of cultivated land was devoted to blé, corn in its closest English equivalent. Corn held pride of place in every village and on every estate. It was cultivated even on ground apparently unpromising, rugged alpine slopes and those waterlogged lands of western and central France, soaked with incessant rain, which to us might seem more appropriate as pasture. In 1787 the commissaries of the Provincial Assembly of the Orléanais could still remark: ‘agriculture, in the great majority of the provinces of France, may be considered a huge factory for the production of corn’. For a very long time conditions of life militated against any more specialised use of the soil. Bread was an essential food for everyone, for the poor their staple diet. Flour was vital but could not readily be obtained by purchase; although probably never completely non-existent, trading was for centuries a rare and difficult operation. The safest course was to look to one’s own fields; and so the lord had his demesne lands sown for him, the peasants worked their own. There was of course nothing to prevent a lord or well-provided peasant from diverting his surplus grain to regions where the harvest had failed.

Plus tard, il est vrai, depuis le XVIe siècle surtout, l’organisation générale de la société devint de nouveau favorable à la circulation des biens. Mais pour qu’une économie d’échanges parvienne à s’instituer dans un pays, il ne suffit pas que le milieu le permette ; il faut encore que naisse, dans la masse, une mentalité d’acheteur et de vendeur. Ce furent les seigneurs, les grands marchands acquéreurs de terres qui, habitués à un horizon plus large et au maniement des affaires, pourvus aussi de quelques capitaux ou assurés d’un certain crédit, s’adaptèrent les premiers. Le menu producteur, parfois même le bourgeois des petites villes, qu’on voit encore, sous la Révolution, tirer son pain de la farine fournie par ses métayers, restèrent longtemps fidèles aux mythes de l’économie fermée et du blé.

Later on, especially from the beginning of the sixteenth century, the organisation of society was admittedly once again more favourable to the circulation of goods. But economic climate is not the only factor; if a country is to adopt a trading economy a buying and selling mentality must also be generated among the population at large. The first to adapt themselves were the landed proprietors who were great merchants, men accustomed to take the wider view in handling affairs and backed by capital or credit. The small producer, and probably also the small-town bourgeois, of the type still to be found at the time of the Revolution who made his own bread from the corn of his métayage, long remained faithful to the mystique of a closed economy based on corn.

Cette suprématie des céréales donnait au paysage agraire une uniformité beaucoup plus grande qu’aujourd’hui. Point de contrées de monoculture, comme, de nos jours, l’immense vignoble du Bas-Languedoc ou les herbages de la vallée d’Auge. Tout au plus semble-t-il y avoir eu de bonne heure — à partir du XIIIe siècle sans doute — quelques rares finages presque exclusivement voués à la vigne. C’est que le vin était une denrée entre toutes précieuse, facile à transporter et de débouché sûr vers les pays que la nature condamnait à n’en point avoir, ou que de très mauvais. Seuls, d’ailleurs, les coins de terre à portée d’une grande voie de trafic — une voie d’eau surtout — pouvaient prendre la liberté de violer ainsi les principes traditionnels. Ce n’est pas un hasard si, vers 1290, le port de Collioure se trouve l’unique point du Roussillon d’où les ceps aient chassé les épis et Salimbene, un peu plus tôt, a fort bien noté la raison qui, aux villageois de la vineuse vallée où s’élève Auxerre, permettait de ne « semer ni moissonner » : la rivière, à leurs pieds, « s’en va vers Paris » où le vin se vend « noblement ». Même en ce qui regarde la vigne, la spécialisation culturale ne progressa qu’à pas lents. En Bourgogne, il n’y avait encore, au XVIIe siècle, que onze communautés où tout le monde était vigneron. Pendant longtemps on s’obstina à produire le vin, comme le blé, sur place, jusque dans des régions où, lors même que l’année avait été assez bonne pour que la vendange ne manquât point tout à fait, les conditions du sol et surtout du climat n’autorisaient à espérer qu’une triste piquette. On n’y renonça en Normandie et en Flandre qu’au XVIe siècle, plus tard encore dans la vallée de la Somme. Tant les communications étaient médiocres et le vin partout recherché — pour son alcool et son goût, certes ; aussi pour son emploi cultuel. Sans lui, point de messe et même — jusqu’au moment, où, vers le XIIIe siècle, le calice fut réservé au prêtre — point de communion pour les fidèles. Religion méditerranéenne, le christianisme a porté avec lui, vers le Nord, les grappes et les pampres dont il avait fait un élément indispensable de ses mystères.

The predominance of cereals gage the countryside a far more uniform appearance than it has today. There were no single-crop regions to compare with the vast vineyard which is modern Bas-Languedoc or with the pasturelands of the Augue valley. The most that can be claimed is that from some quite early date – certainly from the beginning of the thirteenth century – there were a few communities devoted wholly to the cultivation of the vine. Wine had a unique value as a commodity, since it was easy to transport and certain of a market in regions condemned by nature to abstinence or the consumption of inferior local wines. But even this departure from the traditional subsistence economy was possible only for communities within reach of a great highway, preferably a waterway. It was not by chance that the port of Callioure was the only township of Roussillon c. 1290 where corn had been supplanted by the vine; and Salimbene, writing a little earlier, had been quick to see why the villagers of the winegrowing valley dominated by Auxerre had ‘neither to sow nor to reap’: the river at their feet ‘flows toward Paris’ where wine sells ‘famously’. Yet specialisation in viticulture was slow to spread. In seventeenth century Burgundy there were still only eleven places where it engaged the whole population. Wine, like corn, continued to be produced on the spot, even in regions of poor soil and poorer climate, where a season good enough to yield a vintage produced at best a miserable rot-gut. Wine production was continued in Flanders and Normandy until the sixteenth century, in the valley of the Somme even later. This conservatism was only natural, given the uncertainty of communications and the extent of the demand, which arose partly from the pleasurable qualities of wine but also owed much to its liturgical importance. Without wine there could be no Mass, nor, until the chalice was reserved to the priest in the thirteenth century, any Communion for the faithful. A Mediterranean religion, Christianity brought with it to the North the grapes and vine-branches indispensable to its mysteries.

Prédominantes à peu près part out, les céréales cependant n’occupaient point à elles seules toutes les terres. A leurs côtés vivaient quelques cultures accessoires. Les unes, comme certains fourrages — la vesce notamment —, parfois les pois et les fèves, alternaient avec le blé, sur les mêmes labours. D’autres avaient, sur les terroirs, une place à part : légumes des jardins, arbres fruitiers des vergers, chanvre dans les chènevières généralement encloses et — sauf en Provence où ils s’élevaient souvent parmi les emblavures même — ceps des vignobles. Diversement répandues selon les conditions naturelles, ces plantes annexes mettaient quelque variété dans les aspects régionaux. De même ce fut parmi elles qu’au cours des temps eurent lieu les changements les plus nets. Au XIIIe siècle, dans beaucoup de contrées, les environs de Paris, par exemple, les progrès de l’industrie drapière amenèrent la multiplication des champs de guède, l’indigo du temps. Puis ce fut l’apport américain : le maïs conquit quelques terres humides et chaudes, le haricot se substitua à la fève. Enfin, depuis le XVIe siècle, le sarrasin, venu d’Asie Mineure, peut-être par l’Espagne, et d’abord connu des seuls « droguistes », remplaça lentement, sur les plus pauvres labours de la Bresse, du Massif Central, de la Bretagne surtout, le seigle ou le méteil. Mais la grande révolution — apparition des fourrages artificiels et des plantes à tubercule — ne devait venir que plus tard, vers la fin du XVIIIe siècle : pour se produire elle exigeait la rupture de toute la vieille économie agraire.

Although cereals were in most places the dominant crop, they never had the fields entirely to themselves. A variety of auxiliary crops was grown. Cereals might be alternated with forage crops, particularly vetch, and sometimes with peas and beans. Other types of produce were kept to their own ground, quite distinct from the arable: vegetables in the garden, fruit-trees in the orchard, hemp in special fields, usually enclosed, and vines in vineyards – although in Provence the vine-plants were often raised with the corn. The siting of these areas was determined by natural conditions, which gave some variety to the local scene. It was among these special crops that time brought its most obvious changes. Advances in the cloth industry during the thirteenth century stimulated the production of woad (the medieval equivalent of indigo) in many places, for example in the country around Paris. As the influence of America made itself felt, the maize plant gained ground in regions with a warm, moist climate, and the broad bean retreated before the haricot. The last new arrival was buckwheat, which came from Asia Minor in the sixteenth century, probably by way of Spain, and was at first of interest only to dry goods merchants; as time went on, however, it gradually replaced rye and maslin on the poorer soils of Bresse, the Massif Central and Brittany, where it was especially popular. The great revolution marked by the advent of artificial fodder and root crops would come only at the end of the eighteenth century, entailing a complete break with the agricultural traditions of the past.

Celle-ci n’était pas fondée, uniquement, sur la culture. En France, comme dans toute l’Europe, elle reposait sur l’association du labour et de la pâture : trait capital, un de ceux qui opposent le plus nettement nos civilisations techniques à celles de l’Extrême Orient. Les bestiaux étaient, de bien des façons différentes, nécessaires aux hommes, à qui ils fournissaient une part de l’alimentation carnée — le reste étant demandé à la chasse ou aux basses-cours —, les laitages, le cuir, la laine, leur force motrice enfin. Mais le blé aussi, pour croître, avait besoin d’eux : à la charrue, il fallait des bêtes de trait, aux champs, surtout, des engrais. Comment nourrir les animaux ? Grave problème, un des plus angoissants de la vie du village. Au bord des rivières ou des ruisseaux, dans les bas-fonds humides, s’étendaient des prairies naturelles ; on y récoltait le foin pour les mois d’hiver, on y laissait, une fois l’herbe coupée, paître le bétail. Mais tous les terroirs n’avaient point de prés ; les plus favorisés même ne pouvaient s’en contenter. La rareté des herbages ressort clairement de leur prix, presque constamment plus élevé que celui des champs, et du zèle que les riches — seigneurs, propriétaires bourgeois — mettaient à s’en saisir. Insuffisantes aussi, les rares plantes fourragères qui, ça et là, alternaient avec les céréales, sur la terre arable. En fait, deux procédés seulement, qu’il fallait, à l’ordinaire, employer tour à tour, pouvaient faire vivre les troupeaux : leur abandonner certains terrains de pâture, interdits par là même à la charrue, soit forêts, soit friches où se développaient librement les mille plantes de la lande ou de la steppe ; — sur les labours eux-mêmes, pendant les périodes plus ou moins longues qui séparaient la moisson des semailles, les envoyer vaguer à la recherche des chaumes, et surtout des herbes folles. Mais ces deux méthodes, à leur tour, posaient, l’une comme l’autre, de sérieux problèmes, de nature, à vrai dire, plutôt juridique que technique : statut du communal, organisation des servitudes collectives sur les champs. Même ces difficultés, d’ordre social, une fois supposées résolues, l’équilibre établi par l’agriculture ancienne entre l’élevage et les céréales restait passablement instable et mal balancé. L’engrais était peu abondant, — assez rare et, partant, assez précieux, pour que, à la grande indignation d’érudits modernes empressés à voir une volonté d’humiliation là où il n’y avait que sage souci d’agronome, certains seigneurs aient jugé bon d’exiger pour redevances des « pots de fiente ». Et cette pénurie était une des raisons principales, non seulement de l’obligation où l’on se trouvait de s’attacher à la culture de plantes pauvres mais robustes — le seigle, par exemple, préféré au froment —, mais aussi de la faiblesse générale des rendements.

In France, as elsewhere in Europe, medieval agriculture was based not on crop-raising alone but on a combination of arable and animal husbandry. This is one of the most important differences distinguishing our western, technological, civilisations with those of the Far East. Domestic animals were necessary to medieval man in a number of ways; they provided some of his meat (the rest came from the forests and the poultry-yards), his dairy foods, leather, wool and motor power. Animals were equally essential in the cultivation of corn, for drawing the plough and, more important still, manuring the fields. Feeding these animals was one of the most pressing problems facing any village. Where there was natural pasturage beside rivers and streams, in the moist lands of valley bottoms, animals could be sure of at least some fodder for the winter and a grazing place after the hay was cut. But even at their best the meadows were never completely adequate, and some places had none at all. Their scarcity value is clearly brought out by the price they commanded, almost invariably higher than that paid for arable, and by the eagerness with which they were snapped up by well-to-do landowners, the nobility and the wealthy bourgeoisie. The occasional forage crops grown on the arable fields as an alternative to corn were also insufficient to meet with the demand. In fact there were only two methods, usually employed turn and turn about, to ensure the sustenance of livestock. The first was to set aside forest or waste land as permanent grazing, where the herds could feed on the free-growing plants of heath and steppe in all their abundant variety. The other was to turn the animals on to the arable itself, to feed on the stubble and wild grasses during the more or less lengthy period which intervened between harvest and seed-time. Both methods were attended by serious difficulties, admittedly legal rather than practical in nature, arising from communal bye-laws and the organisation of collective services on the fields. But even without these difficulties of a social order, the equilibrium between stock-rearing and cereal cultivation was bound to be unstable and insecure. Manure was by no means plentiful, in fact quite scarce and therefore valuable: so much so indeed that some lords demanded ‘pots of excrement’ as part of their dues, to the great indignation of some over-sensitive scholars who have mistaken what was merely prudent husbandry for a gross and calculated insult. It was in fact this scarcity of manure that was mainly responsible not only for the rule sometimes found that sturdier but inferior crops such as rye should be sown instead of wheat, but also for the generally low yields.

A expliquer celle-ci d’autres causes encore contribuaient. Pendant longtemps les façons avaient été insuffisantes. L’augmentation du nombre des labours, sur la terre vouée aux semailles, de deux à trois, parfois à quatre, avait été un des grands progrès techniques accomplis au moyen-âge, surtout à partir du XIIe siècle et probablement à la faveur de ce même accroissement de main-d’œuvre qui rendit possibles les grands défrichements. Mais la difficulté où l’on était toujours de nourrir les animaux forçait à utiliser des attelages trop peu nombreux et surtout mal composés. Au moyen-âge très souvent, dans certaines contrées jusqu’au XVIIIe siècle, voire au XIXe, on faisait tirer la charrue par des ânes, qui vivaient de peu — voyez les bourricots algériens d’aujourd’hui —, mais n’étaient guère aptes à fournir l’effort nécessaire. Les instruments eux-mêmes étaient souvent imparfaits. Il serait absurde de chercher à donner des chiffres de rendement moyen, censés s’appliquer à toutes les époques, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, à tous les sols et à tous les genres d’exploitation. Mais les témoignages concordent à nous montrer que, dans l’ancienne France, on ne s’estimait pas malheureux lorsqu’on parvenait à récolter de trois à six fois la valeur des semences. Quand on pense à tout ce qu’il a fallu de patientes observations, d’imagination technique, de sens coopératif pour établir et rendre efficace, en dehors de toute connaissance proprement scientifique, ce programme complexe d’adaptation de l’activité humaine à la nature que représente, dès l’aube de notre civilisation rurale, la culture pratiquée sur un terroir par un groupe d’exploitants, on est pénétré, pour les générations qui, depuis la pierre polie, s’y sont employées, de cette même admiration qui, après une visite à un musée ethnographique, inspirait jadis à Vidal de la Blache une si belle page. Mais notre gratitude pour les tenaces ancêtres qui ont créé le blé, inventé le labourage et noué entre l’emblavure, la forêt et le pâquis une féconde alliance, ne nous oblige point à fermer les yeux aux imperfections de leur œuvre, à la maigreur des champs, au peu d’épaisseur de la marge qui séparait l’homme de la disette, perpétuellement côtoyée.

The low yields were also due to other causes. Methods of cultivation were often inefficient, and remained so for centuries. One of the great achievements of medieval agriculture, and of the twelfth century in particular, was to plough land sown with grain three or even four times instead of twice, an improvement probably made possible by the increase in the labour force which, as we have seen, must have been responsible for the large clearances. The perennial difficulty of feeding livestock, however, meant that plough teams were kept below strength and worse still were often unsuited to the task. Donkeys were quite often used as plough animals, in some places down into the eighteenth and nineteenth centuries; although economical in their diet (like the Algerian cuddy of our own day), they were deficient in motor power. Agricultural equipment also left much to be desired. It would be absurd to try to give figures for an average yield, pretending that they could apply to every century before the eighteenth and to every type of husbandry. But the records agree in showing that a yield between three and six times greater than the amount of seed sown was a reasonable result. When one considers all the patient observation, practical intuition and willing co-operation, unsupported by any proper scientific knowledge, which from the dawn of our rural history must have gone into the cultivation of the soil, one is filled with feelings of admiration akin to those which inspired Vidal de la Blanche, after a visit to the Museum of Ethnography, to one of his finest flights of prose. But our sense of gratitude to those remote forefathers of ours who discovered corn, invented ploughing and joined arable, woodland and pasture in a fruitful union, should not blind us to the imperfections of their labours, to the poverty of their fields and to the narrowness of the margin which separated them from famine, their ever-present companion.

2. Les types d’assolement

2. Systems of Crop Rotation

Partout fondée sur le blé, l’exploitation du sol n’en obéissait pas moins, selon les régions, à des principes techniques fort différents. Pour bien saisir ces contrastes, c’est — abstraction faite de toutes les productions accessoires — vers les emblavures qu’il faut regarder.

Although corn was everywhere the staple crop, the rules governing cultivation varied considerably according to the region. These differences can best be appreciated by concentrating on the arable fields and excluding the areas of minor activities.

Les anciens agriculteurs avaient observé que les champs, à moins de fumure intensive, ont par moments besoin de « repos » : entendez que sous peine d’épuiser le sol il est nécessaire, non seulement de varier la culture, mais aussi, à certaines époques, de l’interrompre totalement. Aujourd’hui périmé, ce principe était alors parfaitement raisonnable : la médiocrité des engrais, le peu de choix que, en raison de la prédominance nécessaire des céréales, offraient les différentes productions capables de se succéder sur les labours, empêchaient qu’un simple changement dans la nature des récoltes suffît à renouveler l’humus et à prévenir son gaspillage par les mauvaises. herbes. La règle, ainsi dégagée par l’expérience, prêtait a une grande variété d’application. Il fallait, dans la suite des périodes d’activité — elles mêmes souvent diverses — et des temps de repos, un certain ordre, plus ou moins ferme et méthodique. On pouvait imaginer et l’on imagina, en effet, plusieurs types d’alternance, — en d’autres termes plusieurs assolements.

It had long been recognised that unless fields were intensively manured they needed intermittent periods of rest; in other words, to avoid exhausting the soil it was not only necessary to vary the crop but also to interrupt cultivation altogether for a time. Although now quite outmoded, in its context the idea was reasonable; the scarcity of dung and the narrow choice of crops available for rotation (narrow because of the necessary predominance of cereals) meant a mere change of crop was insufficient to refresh the soil and keep the weeds at bay. This general rule, learned from experience, was applied in a variety of ways. It was obviously necessary to introduce some kind of order, more or less rigidly observed, into the sequence and treatment of the active and passive periods. Many permutations are possible and several were in fact used – the various systems of crop rotation.

Au XVIIIe siècle encore, quelques terroirs, dans les pays de sol pauvre, l’Ardenne, les Vosges, les zones granitiques ou schisteuses de l’Ouest, pratiquaient sur toute leur étendue la culture temporaire. Dans les friches, une parcelle, un jour, est découpée. On la nettoie, souvent par écobuage, c’est à dire par le feu, on la laboure, la sème ; souvent aussi on l’enclôt pour la protéger de la dent des bestiaux. Elle porte moisson, plusieurs années de suite, trois, quatre, jusqu’à huit parfois. Puis, lorsque la médiocrité du rendement semble dénoncer la fatigue du sol, on abandonne de nouveau la pièce à la végétation spontanée des herbes et des broussailles. Elle demeure assez longtemps en cet état de liberté. Ne disons point qu’elle est alors improductive. Elle n’est plus champ, mais elle est redevenue pâture ; ses buissons même, dont on fait des litières, des fagots, parfois — ainsi pour la fougère et l’ajonc — des engrais, ne sont point inutiles. Au bout d’un temps qui, généralement, est au moins aussi long que la période de culture et souvent davantage, la juge-t-on de nouveau propre à donner des récoltes ? On y ramène la charrue, et le cycle recommence. Ce système en lui-même n’était pas incompatible avec une certaine régularité : délimitation des portions du terroir qui, à l’exclusion d’autres espaces, destinés à demeurer perpétuellement incultes, étaient réservées à cette exploitation transitoire, établissement d’une périodicité fixe. Il est bien probable, en effet, que la coutume locale limitait l’arbitraire des individus ; mais, généralement, sans beaucoup de rigueur. Aux agronomes du XVIIIe siècle, les villages de culture temporaire donnaient une impression, non seulement de barbarie, mais aussi d’anarchie : ils n’ont pas, disent les textes, de « saisons bien règlées ». Les principales raisons qui, ailleurs, devaient amener un strict contrôle de l’activité individuelle manquaient ici. Les champs provisoirement essartés étant fort disséminés, les exploitants ne risquaient guère de se gêner les uns les autres. Par surcroît, comme les pâquis étaient toujours beaucoup plus étendus que la surface mise en labour, il n’y avait guère lieu de se préoccuper d’établir entre les pâtures et les moissons cet équilibre dont le souci dominait la règlementation des terroirs plus savamment cultivés.

Until well into the eighteenth century, it was still the custom in some places where the soil was very impoverished – the Ardennes, the Vosges, the granite and schist zones of the west – to crop a patch of ground for a few years and then pass on to another, under a system of ‘temporary cultivation’. A patch of waste would be cleared, often by burning, ploughed, sown and perhaps fenced off, as a protection against grazing cattle. Cultivation continued for several years, eight at most; when the declining yield indicated that the soil was exhausted, the patch was abandoned once again to its natural vegetation of weeds and brush. But although now left undisturbed, the ground was by no means unproductive; having been a field it now became a pasture; and even the bushy undergrowth, which could provide litter and faggots and sometimes compost from its bracken and furze, had its uses. At the end of a period which was at least equivalent to the time previously spent under cultivation and often longer, the patch would be judged again fit for cultivation, the plough brought back and the cycle begun afresh. It was quite possible to conduct these operations more or less systematically by making a distinction between lands earmarked for temporary periods of cultivation on a fixed cycle and those of the permanent waste; local custom probably in fact imposed some such rule, though it may not always have been rigorously applied. To the agronomists of the eighteenth century the system seemed not merely barbarous but positively anarchic; they remark that in these villages ‘no set courses are observed’. The circumstances which caused other places to set a strict limitation on individual initiative were here absent. The plots under temporary cultivation were scattered, which meant there was little danger of friction among those who worked them. Moreover, the grazing was always so much more extensive than the arable that the problems of maintaining a proper balance between arable and animal husbandry, elsewhere such a major preoccupation, scarcely arose.

Rares étaient, au XVIIIe siècle, les groupes ruraux qui appliquaient encore intégralement ce mode d’occupation singulièrement lâche. Mais on ne saurait douter qu’il n’eût été autrefois beaucoup plus répandu. Probablement il faut voir en lui un des plus anciens, le plus ancien peut-être, des procédés inventés par l’ingéniosité humaine pour faire travailler la terre, sans l’épuiser, et pour associer au blé le pacage. Nous savons qu’au XVIIIe siècle plusieurs communautés, qui l’employaient encore, décidèrent ou furent contraintes de lui substituer un assolement « réglé », ce qui imposa toute une nouvelle distribution des biens. Selon toute apparence, elles répétaient ainsi, d’un seul coup, l’évolution que, dans des âges déjà lointains, beaucoup d’autres villages avaient accomplie, avec plus de lenteur.

By the eighteenth century there were few places where this loosely-organized programme was still followed in full; at one time, however, it must have been quite common and was probably one of the earliest – perhaps indeed the earliest – of all the regimes devised by man for working the soil without danger of exhaustion and combining corn with grazing. When the villages where the system was still practised in the eighteenth century finally went over to crop rotation (either of their own accord or under external pressure), they were forced to undertake the redistribution of their properties. Such villages appear to have passed at a single bound through an evolution which elsewhere had been far more gradual and was already ancient history.

Aussi bien ce passage à un système plus perfectionné n’avait-il été souvent que partiel. Aux temps modernes, la culture temporaire ne régnait plus que par exception sur des terroirs entiers ; mais, très fréquemment, elle occupait encore, côte à côte avec des labours plus régulièrement ordonnés, une partie notable du sol du village ou du hameau. En Béarn, par exemple, c’était la règle : chaque communauté, ou presque, possédait, auprès de sa « plaine », toute en terre arable, ses « coteaux » couverts de fougères, d’ajoncs nains, de graminées, où chaque année les paysans venaient déblayer la place de quelques champs voués à une prompte disparition. Mêmes pratiques dans la Bretagne intérieure et le Maine, dans l’Ardenne et les Hautes Vosges, où l’essart, de brève durée, se faisait, pour une large part, aux dépens de la forêt, sur les plateaux de la Lorraine allemande, dans le Jura, les Alpes et les Pyrénées, en Provence, sur toutes les hautes terres du Massif Central. Dans ces contrées, une foule de finages renfermaient, à côté de « terres chaudes », régulièrement ensemencées, de vastes espaces en « terres froides » — dans le Nord-Est on employait, de préférence, le mot germanique de « trieux » —, en grande partie incultes, mais où les habitants traçaient, ça et là, d’éphémères sillons. Des plaines au nord de la Loire, par contre, ces usages avaient à peu près disparu. Les défrichements y avaient laissé moins d’espaces vides ; ce qui restait de sol vierge était, ou décidément impropre au labourage, ou tenu pour indispensable à la pâture, à la production du bois, à la recherche de la tourbe. Mais il n’en avait pas toujours été ainsi. Vraisemblablement, à l’époque même des grands défrichements, la mise en valeur définitive avait souvent été précédée par une exploitation intermittente. Dans la forêt de Corbreuse, qui dépendait du chapitre de Paris, mais sur laquelle le roi étendait ce droit de protection, accompagné de divers privilèges rémunérateurs, qu’on appelait « gruerie », Louis VI ne permettait aux villageois que cette forme de déboisement : « ils feront seulement deux moissons ; puis ils se transporteront dans une autre partie du bois et, de même, y récolteront, en deux moissons successives, le produit des semailles sur l’essart ». Ainsi le montagnard de l’Indo-Chine et de l’Insulinde promène, de place en place, dans la forêt ou dans la brousse, son ray, son ladang, qui parfois donne naissance à une rizière stable.

Even so, the change to a more orderly system was often only partial. Although few places still kept all their land under temporary cultivation, until quite recently there were villages and hamlets where a fair proportion of the arable was treated in this way. This was the rule in Béarn, for example, where nearly every community had both its plaine (permanent arable) and its coteaux (hillsides covered with bracken, dwarf furze and grass, where the peasants came each year to clear enough space for a few ephemeral fields). The same practice prevailed in inland Brittany, in Maine, in the Ardennes, in the Hautes Vosges (where the short-lived clearances were chiefly at the expense of forest), on the plateaus of German Lorraine, in the Jura, in the Alps and Pyrenees, in Provence and on the uplands of the Massif Central. In all these regions there were many settlements where the regularly sown terres chaudes lay alongside wide tracts of terres froides (in the north-east usually known by the Germanic name trieux), for the most part uncultivated but with temporary furrows traced here and there. In the plains to the north of the Loire, however, the custom had almost died out. Here fewer spaces had been left untouched by medieval assarters; such virgin lands as remained were either totally unsuitable for ploughing or indispensable as grazing and a source of wood and peat. But this had not always been the case. Permanent cultivation may frequently have been preceded by temporary cropping. As an example one may cite the rules concerning deforestation laid down by Louis VI for villagers in the forest of Corbreuse, which although a dependency of the Chapter of Paris was under a form of royal protection, very lucrative to the king because of the accompanying privileges known as gruerie: ‘the villagers shall take only two harvests; then they shall move to another part of the wood and again take two successive harvests, sowing on assarted ground’. The highlander of Indo-China and Indonesia also moves his ray and his ladang from place to place in the jungle or scrub, and sometimes creates a permanent rice-field in the process.

Avec ce va-et-vient cultural, l’assolement continu forme, en apparence du moins, le plus étrange contraste. N’imaginons point une rotation savante entre plusieurs espèces végétales, semblable à celles qui aujourd’hui, à peu près partout, ont pris la place des vieux systèmes à jachère morte. Sur un même quartier de terres, indéfiniment, sans que jamais une interruption fût prévue, c’étaient, dans les villages soumis anciennement à l’assolement continu, les céréales qui succédaient aux céréales ; tout au plus faisait-on alterner, mais sans beaucoup de régularité, les semailles d’automne avec celles de printemps. Ne voilà-t-il pas à la règle du repos le plus étonnant démenti ! Comment même parvenait-on à obtenir encore quelques épis de cette terre qui, semble-t-il, eût dû s’épuiser et devenir la proie des mauvaises herbes ? C’est qu’on ne cultivait jamais ainsi qu’une petite partie du terroir ; à cette section privilégiée, on réservait toutes les fumures. Autour, le sol n’était que pâquis, où l’on découpait, au besoin, quelques essarts provisoires. D’ailleurs nous voyons clairement qu’en dépit de cette accumulation d’engrais, le rendement n’était pas bon. Très répandu en Grande Bretagne, en Écosse surtout, ce régime, en France, semble avoir été exceptionnel. On en relève des traces ça et là : autour de Chauny, en Picardie, dans quelques villages du Hainaut, en Bretagne, en Angoumois, en Lorraine. Peut-être avait-il été moins rare autrefois. On peut croire que, sortant de la culture temporaire, les groupes ruraux passèrent quelques fois par cette expérience.

When compared with these makeshift methods, continuous crop rotation certainly presents a striking contrast. But it would be a mistake to imagine that medieval farmers regularly alternated several different types of crop, as is done in the modern systems which have nearly everywhere replaced the old system of fallowing. In villages where continuous crop rotation was an ancient practice, a portion of the arable would be occupied by successive cereal crops, without any thought of intermission; the only alternation practised, and this tended to be irregular, was between winter and spring sowing, a truly astonishing application of the principle of ‘resting’ the land! It may be asked how land which under this treatment should have been exhausted and a prey to weeds could still yield a harvest. The explanation is that only a small part of the arable, for which all the manure was reserved, received such intensive cultivation. The surrounding land was grazing, from which temporary assarts were cut as required. Moreover, there is clear evidence that even with concentrated manuring the yield remained unimpressive. This regime was widespread in the British Isles, above all in Scotland, but in France was exceptional. Traces of it appear here and there, in the neighbourhood of Chauny, in Picardy, in a few Hainault villages, in Brittany, Angoumois and Lorraine. It may perhaps once have been more common; one can well believe that villages emerging from a system of temporary cultivation sometimes passed through this phase.

Les deux grands systèmes d’assolement, qui, sur presque toute la surface du pays, permirent de substituer à la confusion d’une mise en valeur par à-coups une suite bien réglée, comportaient un temps de repos, une jachère. Ils différaient l’un de l’autre par, la durée du cycle.

Both the main systems of crop rotation, by which almost all the arable land was cultivated in orderly sequence instead of by fits and starts, were based on the fallowing principle; where they differed was in the length of their cultivation cycle.

Le plus court était biennal : à une année de labour, avec semailles, en général, à l’automne, par moments aussi au printemps, succède, sur chaque champ, une année de jachère. Bien entendu, à l’intérieur de chaque exploitation et, par suite, du terroir entier, l’ordre était tel que la moitié, approximativement, des champs se trouvait une même année sous culture, alors que l’autre restait vide de moisson, et ainsi de suite, par simple roulement.

The shorter of the two was biennial: a field would be ploughed and sown one year – usually in autumn, sometimes in spring as well – and spend the next lying fallow. This meant that in any given year approximately half the tillage of each holding (and therefore half the total extent of the arable) was under cultivation, while the rest remained unsown; in the following year the roles would be reversed, and so the cycle continued, by simple alternation.

Plus complexe, l’assolement triennal supposait une adaptation plus délicate des plantes à la terre nourricière. Il reposait, en effet, sur la distinction de deux catégories de récoltes. Chaque exploitation, en principe, et chaque terroir se divisent en trois sections égales en gros — en gros seulement, On les appelle, selon les lieux, « soles », « saisons », « cours », « cotaisons », « royes », « coutures », — en Bourgogne, « fins », « épis », « fins de pie ». Rien de plus variable que ce vocabulaire rural ; les réalités étaient foncièrement unes sur de larges espaces ; mais comme le groupe où s’échangeaient les idées et les mots était fort petit, la nomenclature différait région par région, voire village par village. Plaçons-nous après la moisson. Une des soles va être ensemencée dès l’automne ; elle portera des « blés d’hivers » — dits aussi « hivernois » ou « bons blés » — : froment, épeautre, ou seigle. La seconde est réservée au « blé de printemps » (« gros blés », « marsage », « trémois », « grains de carême »), dont les semailles se font aux premiers beaux jours : orge, avoine, quelquefois fourrages, comme la vesce, ou légumineuses, comme les pois ou les fèves. La troisième reste en jachère un an plein. A l’automne suivant, elle sera ensemencée en blés d’hiver ; les deux autres passeront, la première des blés d’hiver aux blés de printemps, la seconde, des blés de printemps à la jachère. Ainsi, d’année en année, se renouvelle la triple alternance.

Triennial rotation allowed for a more subtle relation between the crops and the nutritive properties of the soil. It was based in principle on a distinction between two categories of harvest. The lands of each holding – and thus of the total arable – were divided into three more or less equal-sized parts. The names for these divisions vary with the region and include soles, saisons, cours, cotaisons, royes or coutoures and, in Burgundy, fins, épis or fins de pie. Rural terminology is idiosyncratic in the extreme; although conditions over a wide area might be fundamentally the same, the settlements which were the centres of gossip and argument were so small and self-centred that the words men used to describe their affairs varied from region to region, even from village to village. Let us place ourselves at the point in the cycle when the harvest is just over; what happens next? One sole will be sown in autumn with the winter corn (blés d’hiver, hivernois, bons-blés), wheat, spelt or rye. The second is reserved for spring corn (blé de printemps, gros blés, marsage, trémois, grains de carême), and will be sown in the first fine days of spring, with barley, oats, some kind of forage crop, vetch for example, or legumes, probably peas or beans. The third sole will be fallow throughout the year, to be sown with winter corn in the following autumn, when the others will progress from winter to spring corn and from spring corn to fallow. And so the triennial succession will proceed from year to year.

La répartition géographique des deux grands assolements n’est pas connue avec exactitude. Telle qu’elle se présentait à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe — avant la révolution agricole, qui devait peu à peu mettre fin à la jachère et introduire des rotations plus souples — il ne serait sans doute pas impossible de la restituer. Mais les études précises manquent. Très certainement, cependant, les deux systèmes s’opposaient, dès le moyen-âge, par grandes masses. Le biennal régnait en maître dans ce qu’on peut appeler, en bref, le Midi : pays de la Garonne, Languedoc, Midi rhodanien, versant méridional du Massif Central ; il poussait jusqu’au Poitou. Plus au nord, dominait le triennal.

The exact geographical distribution of these two rotations has not so far been established. It would probably not be difficult the pattern as it was in the late eighteenth century, before the more flexible rotation introduced by the agricultural revolution put an end to fallowing; but for this we should need detailed studies which are at present lacking. What is certain is that the two systems occupied distinct blocks of territory, and had done so since the Middle Ages. Biennial rotation was the rule in the Midi, that is to say in the lands watered by the Garonne, in Languedoc, along the southern reaches of the Rhône and the southern watershed of the Massif Central. North of Poitou we enter the domain of triennial rotation.

Telles sont, du moins, les grandes lignes du groupement. Vu dans le détail et dans ses fluctuations à travers le temps, il perd un peu de sa simplicité. Tout d’abord, il convient de tenir compte d’irrégularités, d’autant plus fréquentes qu’on remonte plus haut dans le cours de l’histoire. Sans doute, au moins sur diverses catégories de terroirs, les intérêts et les nécessités matérielles elles-mêmes empêchaient ou limitaient avec force les écarts de la fantaisie individuelle. Au début du XIVe siècle, un fermier artésien, ayant pris possession d’une parcelle, sur la sole des blés d’hiver, trop tard pour y pratiquer les labours nécessaires aux semailles d’automne, dut se contenter d’y semer, en mars, de l’avoine. L’année suivante, force lui fut d’y refaire des semailles de printemps ; il fallait bien qu’il « aroyât » sa terre à la « roye » des terres voisines. Mais quoi ! manquait-on, une année, de semences ou de bras ? on était obligé d’étendre les jachères. Avait-on, par contre, trop de bouches à nourrir ? on pouvait bien, quitte à diminuer un peu les pâtures, s’entendre pour multiplier les moissons. Aussi bien, les habitudes primitives de la culture temporaire étaient encore très proches des esprits. Parfois elles influençaient jusqu’au jeu régulier des assolements, faisant succéder dans le Maine, comme on le verra tout à l’heure, à plusieurs cycles où la jachère ne durait qu’un an, une période où le champ cessait, pendant plusieurs années, de porter moisson. Encore était-ce là un système mixte, mais à peu près stable. Ailleurs, c’était par intermittence que l’on en revenait à la vieille recette des longs repos. En 1225, la charte de fondation du village de Bonlieu, en Beauce, par les religieuses d’Yerres, stipule que les labours seront cultivés « selon les soles usuelles », mais prévoit le cas où un paysan, « par pauvreté ou pour améliorer sa terre », laissera celle-ci pendant quelques années sans culture.

This picture is of course oversimplified; closer inspection reveals that there were always exceptions and that changes took place with the passage of time. The exceptions become more frequent the further back one goes. It is true that on certain types of land material considerations and necessities always acted as a check on individual deviations from the rule. Consider the case of the Artois peasant of the early fourteenth century who took possession of a parcel in the sole sown with winter corn too late for the autumn ploughing and had to be content with sowing oats in March. In the following year he was again made to sow his parcel in the spring, to keep his land in line with that of his neighbours. But in a season when labour or seed was short the situation was very different; then the only solution was to depart from the rule and leave more land fallow. On the other hand, in a year when there were more mouths to feed everyone might agree to increase the area sown, at the expense of a little grazing. The primitive habits of temporary cultivation were never far below the surface and might even influence the regular order of rotation; we shall see that in Maine, for example, cycles in which the fallow period never exceeded one year were followed by a resting period which lasted for several. This must still be described as a mixed regime, although it has all but achieved stability. Elsewhere the old prescription of lengthy resting periods was applied only in exceptional situations. The founding charter (1225) issued for the village of Bonlieu in the Beauce by the nuns of Yerres stipulates that the ploughlands shall be cultivated ‘following the usual soles’, but then goes on to make provision for the peasant who might wish to leave his parcel uncultivated for several years ‘because of poverty or in order to improve his land’.

Enfin la vie, longtemps, fut trop troublée pour que les usages agraires, non plus que les autres, fussent parfaitement fixes et ordonnés. Divers édits des ducs de Lorraine, après les guerres du XVIIe siècle, se plaignent que les paysans, revenus sur leurs terres, eussent cessé d’observer les « soles accoutumées ». Évitons d’exagérer la rigueur, non plus que la parfaite continuité, des mœurs anciennes. Ce sont qualités de temps plus proches de nous, de sociétés plus pacifiques et plus stables. Mais ces oscillations n’avaient pas pour résultat seulement la « confusion » dont se plaignaient les fonctionnaires lorrains ; elles facilitèrent les passages d’un régime d’assolement à un autre.

Finally, it should be remembered that there were long periods when times were so troubled that the regular rhythm of agrarian life, as of much else, was profoundly disturbed. Edicts issued by the seventeenth-century Dukes of Lorraine complain that peasants resettled in their former villages after a period of war are not observing ‘the customary courses’. We should be careful to exaggerate neither the rigidity of the restrictions suffered by our rural forefathers nor the perfection of continuity from one generation to the next. Respect for the virtues of regularity and consistency is the hallmark of periods closer to our own and of societies of greater tranquility and stability. However disturbing to the officials of Lorraine, the confusion of the seventeenth century had the positive merit of facilitating the changeover from one system of crop rotation to another.

Observons, en effet, de plus près, la répartition des deux grands systèmes : biennal, triennal. La carte, si on pouvait la dresser, ne procéderait pas uniquement par larges teintes plates ; on y verrait quelques zones pointillées. Dans le Midi, il est vrai, le triennal semble avoir été toujours excessivement rare, si même il s’y rencontra jamais. Assez loin vers le nord, par contre, le rythme biennal a longtemps occupé, côte à côte avec le type concurrent, de larges espaces. Jusqu’à la révolution agricole, toute une partie de la plaine d’Alsace, des portes de Strasbourg, au sud, jusqu’à Wissembourg, au nord, l’a fidèlement pratiqué. De même, plusieurs villages de la montagne franc-comtoise et, sur les côtes septentrionales de la Bretagne, d’assez nombreux terroirs. Plus anciennement, ces îlots étaient beaucoup plus fréquents. On en a décelé de fort étendus dans la Normandie médiévale. Il s’en rencontrait, d’assez vastes aussi, vers le même temps, dans l’Anjou et le Maine. En ce dernier pays, le cycle biennal subsista par places jusqu’au début du XIXe siècle, mais en s’unissant, de la façon la plus curieuse, à la pratique de la culture temporaire et à une division tripartite du sol. On avait trois saisons : sur chacune la terre demeurait six ans en culture alternative, le froment ou le seigle roulant avec la jachère ; puis venaient trois années de friche complète. Il n’est guère possible de douter que ce ne fussent là des survivances. Et l’on entrevoit des stades intermédiaires. Les inventaires carolingiens signalent, sur les réserves seigneuriales, au nord de la Loire, l’existence de trois saisons, la distinction de l’hivernois et du trémois ; mais constamment — l’étude des corvées exigées des tenanciers, qui mettaient en valeur les champs du seigneur, le montre avec clarté — les blés d’hiver occupent une place beaucoup plus grande que ceux de mars : soit qu’une partie du domaine demeurât soumise à un rythme biennal, soit plutôt que certaines parcelles dussent subir deux années de jachère, alors que sur leurs voisines les semailles de printemps précédaient régulièrement l’unique année de repos. De toutes façons, une périodicité à trois temps encore embryonnaire. Dans le Nord, l’assolement triennal était certainement très ancien ; il est attesté dès l’époque franque et remontait sans doute beaucoup plus haut. Mais pendant des siècles — les mêmes constatations ont été faites, tout près de nous, en Grande-Bretagne — il se mêla au biennal et comporta des formes mitigées.

It is time we took a closer look at the distribution of the two main systems of rotation, biennial and triennial. If the distribution were plotted on a map, it would be seen that while some regions were wholly given over to one type, others presented a less homogenous appearance. Triennial rotation was virtually unknown in the Midi. On the other hand, biennial rotation continued to be practised alongside the three-course system over extensive regions lying quite far to the north, and lingered on over a large part of the Alsatian plain (from the Strasbourg gap as far north as Wissembourg) right down to the time of the agricultural revolution. The same is true of several villages in the highlands of Franche-Comté and on the northern coasts of Brittany. These pockets were at one time much commoner; quite extensive areas of biennial rotation have been uncovered in medieval Normandy and also in Anjou and Maine for much of the same period. In Maine the biennial cycle survived in some places right down to the beginning of the nineteenth century, in an unusual combination of temporary cultivation with a tripartite division of the soil. This singular system worked as follows. There were three courses. In each course the land spent six years alternating between bearing a cereal crop of wheat or rye and lying fallow; then followed three years under grazing. These curious arrangements must have survived from an earlier age, and we can guess what the intermediate stages must have been. The Carolingian estate surveys make a distinction between spring and autumn sowing, which suggests that three courses were being observed on seigneurial demesnes north of the Loire; but, as emerges very clearly from what we know of the services demanded from the tenants who worked the demesne, winter corn always took up more space than that sown in the spring. There are two possible explanations: either part of the demesne still followed a biennial regime, or else, which is more likely, certain parcels were obliged to lie fallow for two years, so that the single year of fallow allowed to the others was always preceded by spring sowing. Whichever explanation is correct, a threefold cycle is already clearly present in embryonic form. There can be no doubt that triennial rotation was of great antiquity in the north, going back certainly to the Frankish period and probably much further still. Over the centuries however there was some mingling with the biennial system, which produced certain modifications; the same phenomenon had been observed just across the Channel, in the British Isles.

Ne nous y trompons pas, cependant : par ces observations, le contraste fondamental entre les deux grandes zones d’assolement n’est nullement atténué. Chose du Nord, le système triennal y a fait tache d’huile. Le Midi lui est toujours resté obstinément rebelle, comme à un élément étranger. Dans le Nord, visiblement, à mesure que la population augmentait, les préférences allèrent vers la méthode qui permettait, chaque année, de ne maintenir vide de moisson que le tiers, au lieu de la moitié du terroir. Nul doute que, dans le Midi, les mêmes besoins ne se soient faits sentir. Pourtant, avant la révolution agricole, jamais, semble-t-il, on n’y eut l’idée d’accroître la production en introduisant les trois soles : tant ce qu’on pourrait appeler l’habitude biennale était enracinée. Cette antithèse pose à l’histoire agraire une véritable énigme. Évidemment les raisons géographiques, au sens étroit du mot, sont inopérantes : les aires d’extension sont trop vastes et chacune d’elles, dans ses conditions naturelles, trop diverse. Aussi bien dépassent-elles, l’une comme l’autre, et de beaucoup, les frontières de notre pays. Le cycle à deux temps est le vieil assolement méditerranéen, pratiqué par les Grecs et les Italiotes, chanté par Pindare comme par Virgile. Le triennal couvre la majeure partie de l’Angleterre, et toutes les grandes plaines de l’Europe du Nord. Leur opposition, dans notre pays, traduit le heurt de deux grandes formes de civilisation agraire, que l’on peut, faute de mieux, appeler civilisation du Nord et civilisation du Midi, constituées, toutes deux, sous des influences qui nous demeurent encore profondément mystérieuses : ethniques et historiques sans doute, géographiques aussi. Car, si des circonstances d’ordre physique s’avèrent incapables d’expliquer, à elles seules, la répartition finale des régimes d’assolement, il se peut fort bien qu’elles rendent compte de l’origine, loin de la Méditerranée, du point de rayonnement du rythme triennal. L’agronomie romaine n’ignorait par les bienfaits de la rotation culturale, que, sur les terres les plus riches, elle poussait jusqu’à interdire au sol tout repos. Mais c’étaient des légumineuses ou du lin qu’elle insérait entre les récoltes des grains ; entre céréales, elle ne pratiquait, d’espèce à espèce, aucune relève régulière. Elle connaissait bien le blé de printemps, mais ne voyait en lui qu’un expédient commode pour les cas où les ensemencements, avant l’hiver, avaient manqué. Sans doute, pour faire de l’alternance des semailles printanières avec celles de l’automne la base même de tout un système de culture, fallait-il des étés qui, mieux que les siens, fussent garantis contre la sécheresse. On ne peut parler que de peut-être. Une chose cependant est certaine, nous aurons, par la suite encore, l’occasion de nous en assurer : la coexistence de deux grands types d’institutions agraires — type méridional, type septentrional, — est à la fois une des originalités les plus frappantes de notre vie rurale, et l’une des plus précieuses révélations que nous apporte, sur les racines profondes de notre civilisation, en général, l’étude de l’économie champêtre.

But let there be no mistake. The fundamental contrast between the two main zones occupied by each system of crop rotation is in no way lessened by these qualifications. Triennial rotation was born in the North and has left its mark there. The Midi obdurately resisted its intrusion, as though it were a foreign element. As the population of the North increased there was a definite move away from the biennial system, which left half the total arable uncultivated in any given year, in favour of the triennial system in which only a third was omitted. The needs of a growing population must also have made themselves felt in the Midi; but there the biennial habit seems to have been so deep-rooted that the idea of increasing production by changing over to the three-field system apparently never occurred to anyone before the time of the agricultural revolution. This contrast in attitude is a genuine enigma of agrarian history. It cannot be explained by reference to geographical factors in their narrowest sense; the areas concerned are too vast, their physical characteristics too diverse. Moreover, the boundaries of both zones extend far beyond the frontiers of France. The biennial cycle was practiced by the Greek and Italian farmers of antiquity, sung by Pindar as well as Virgil. The triennial cycle was widespread in most of England and over all the great plains of northern Europe. The confrontation of the two systems in France represents the collision on our soil of two major forms of agrarian civilisation, which may conveniently be called the northern and southern types; how these civilisations came to take their distinctive form is still a mystery, although it is likely that historical, ethnic and no doubt also geographical, factors all played their part. For example, although physical conditions cannot by themselves have determined the ultimate distribution of the two systems, they may well help explain why triennial rotation had its origin in a region remote from the Mediterranean. Roman agronomists recognised the advantages of crop rotation, and indeed practised it, to the extent that exceptionally fertile soils allowed no fallow periods at all. But the crops they rotated with cereals were either legumes or flax; they attempted no regular alternation between different kinds of cereals. The Romans were also familiar with the idea of spring sowing, but regarded it merely as a useful expedient in seasons when the autumn-sown crop had failed. The Romans, after all, had no reasonable expectation of a drought-free summer, which may well have been why they never adopted a system of cultivation based on alternation between spring and autumn sowing. All this is guess-work. One thing is certain, and will emerge still more clearly in later pages: the coexistence in France of agrarian institutions belonging to both main systems of agriculture, the southern and the northern, is at once one of the most striking features of our rural life and, for the light it sheds on the deeper roots of our whole civilisation, among the most valuable lessons to be learned from the economic history of our countryside.

3. Les régimes agraires : les champs ouverts et allongés

3. Agrarian Regimes: Open and Elongated Fields

Un régime agraire ne se caractérise pas seulement par l’ordre de la succession des cultures. Chacun d’eux forme un réseau complexe de recettes techniques et de principes d’organisation sociale. Cherchons à reconnaître ceux qui se partageaient la France.

An agrarian regime is not characterised solely by its crop rotation. Each regime is an intricate complex of techniques and social relations. It is time we tried to identify the regimes found in France.

Il faut, dans cette enquête, laisser de côté, sauf à y revenir chercher, par la suite, quelques clartés sur les origines, les terroirs voués tout entiers à la culture temporaire, — à la culture « arbitraire », comme disait un agronome franc-comtois. Sur ces sols où le laboureur « plante sa charrue » selon la direction que lui-même « a donnée à ses travaux agricoles ». des systèmes réguliers d’organisation pouvaient bien s’esquisser, non s’établir fermement. Nous éviterons également de nous arrêter aux singularités de certains finages que commandaient des conditions naturelles toutes particulières. Les hautes montagnes, notamment, ont toujours dû à la prépondérance obligée de l’élément pastoral une vie agraire sensiblement différente de celle des basses et moyennes terres. Encore ce contraste était-il, dans l’ancienne France, beaucoup moins accusé qu’aujourd’hui. Nos civilisations rurales sont filles des plaines ou des collines ; les zones de grande altitude en ont adapté les institutions, plutôt qu’elles ne s’en sont créé de profondément originales. Je ne saurais ici faire autre chose que dégager — fût-ce au prix de quelques simplifications — les traits fondamentaux d’un classement qui, pour être exposé dans toutes ses nuances, exigerait un volume.

Certain types of land must be omitted from this survey, although we shall later need to clarify some points about their origins. We cannot, for example, include land wholly under temporary or ‘haphazard’ cultivation, to borrow an expression used by an agronomist from Franche-Comté; for this was land where the husbandman drove his plough in the direction he alone decided, and although the shadowy outlines of a more regulated system might appear, it was unlikely to become permanent. We shall also have to refrain from dwelling on the peculiarities of settlements with an unusual physical environment. The agrarian economy of the high mountains has always been markedly different from that of the lower slopes and plains, because of the inevitable predominance of pastoral farming. It should be pointed out, however, that in the past this contrast was much less obvious than it is today. Our rural civilisations originated in the plains and on the hill-sides; the high altitudes took over their institutions instead of creating any specifically adapted to their own needs. Despite the danger of over-simplification, it has seemed best for my present purpose to single out the basic features of each agrarian system; the nuances would require a volume to themselves.

D’abord s’offre à nous le plus clair, le plus cohérent des régimes agraires : celui des champs allongés et obligatoirement ouverts.

The obvious place to start is with the most easily recognisable and coherent regime, that of open fields with long furlongs.

Figurons-nous une agglomération rurale, en règle générale d’une certaine importance. Le système n’est point incompatible, notamment en pays de défrichement relativement récent, avec un habitat par petits groupes ; mais il semble bien avoir été lié originellement au village, plutôt qu’au hameau. Autour des maisons, voici les jardins et vergers, toujours entourés d’une clôture. Qui dit jardin, dit clos ; les deux mots se prennent constamment l’un pour l’autre et le terme même de jardin — qui est germanique — primitivement n’avait sans doute pas d’autre sens. Ces barrières sont le signe que, en aucun cas, la pâture collective ne sera permise sur le sol qu’elles protègent. A l’intérieur même du terroir, on trouve parfois, ça et là, d’autres enclos : vignobles, au moins dans le Nord (dans les pays méridionaux ils étaient au contraire souvent ouverts et la vigne, là-bas particulièrement vivace, s’abandonnait, après, la vendange, à la dent des bêtes), ou encore chènevières. Au bord du cours d’eau, s’il en est, s’étendent quelques prés. Puis ce sont les labours, et enveloppant ceux-ci ou les pénétrant, les pâquis. Portons nos yeux sur les labours.

Picture a compact rural settlement. It will be fairly large, since this was a regime designed primarily for villages rather than hamlets, although it was by no means incompatible with a more dispersed form of settlement, especially where clearance was of relatively recent date. The houses will be surrounded by gardens and orchards, all enclosed. Originally garden or jardin (a Germanic word) simply meant close, clos; the two terms are in fact synonymous and were constantly interchanged. The land inside the enclosure was sacrosanct, secured against intrusion from the communal herd. There will also be some enclosed areas on the open fields where hemp or vines are growing. (Vines were only enclosed in the north; in the south the vines were more sturdy and once the vintage was over could be safely exposed to the depredations of grazing livestock.) The ground bordering the stream, if there is one, will be meadow; then come the ploughlands, interspersed with or surrounded by grazing.

Le premier trait qui frappe en eux, c’est qu’ils sont largement ouverts. N’entendons point par là, cependant, qu’on ne saurait y voir absolument aucune clôture. Tout d’abord une distinction s’impose : fermetures permanentes, fermetures temporaires. Pendant une grande partie du moyen-âge, l’usage fut d’élever, vers le début de la belle saison, autour, non, sans doute, de chaque champ, mais de chaque groupe de champs, des clayonnages provisoires ; parfois, on préférait creuser un fossé. Les calendriers rustiques rangeaient cette tâche parmi les besognes du printemps. Au XIIe siècle encore, dans un des villages de l’abbaye Saint-Vaast d’Arras, un sergent héréditaire « relevait les fossés avant la moisson », probablement sur le domaine seigneurial. Aussitôt la moisson faite, on abattait ou comblait ces légères défenses. Puis, à partir des XIIe et XIIIe siècles, plus ou moins lentement selon les lieux, cette habitude se perdit. Elle datait d’un temps où l’occupation était encore très lâche ; les friches, fréquentées par le bétail, se glissaient alors de toutes parts au milieu de la terre arable. Lorsque les cultures, après les grands essartages, se présentèrent désormais en masses plus compactes et plus nettement isolées des pâquis, ce travail de Pénélope parut inutile. Dans beaucoup de régions généralement ouvertes, en revanche, on maintint, sur certaines des frontières qui bornaient la zone cultivée, des clôtures, cette fois durables. Dans le Clermontois, les barrières, qui, obligatoirement, limitaient les champs du côté des chemins, d’abord transitoires, se transformèrent souvent, au cours des temps, en fortes haies d’épines. En Hainaut, en Lorraine, ces fermetures bordières, le long des chemins encore ou des communaux, étaient de règle. En Béarn, elles protégeaient les « plaines » régulièrement ensemencées, contre les « coteaux » où, parmi quelques champs provisoires, eux-mêmes enclos, vaguaient les troupeaux : ainsi un mur sépare de l’in-field écossais l’out-field, voué au pacage et à la culture intermittente. Ailleurs, comme, en Alsace, autour de Haguenau, elles compartimentaient le terroir en quelques grandes sections.

The most striking feature of the ploughlands is the uninterrupted vista they present. This is not to say there will be no fences of any kind. There is an obvious initial distinction to be made, between barriers that were permanent and those which were temporary. During a large part of the Middle Ages it was customary on the approach of the growing season to erect temporary wattle fences, not indeed around each field, but around groups of fields; sometimes ditches were dug instead. Rustic calendars mention this chore among the tasks of spring. In the twelfth century one of the villages dependent on the abbey of St. Vaast’s of Arras still had a hereditary official whose task it was to ‘reinstate the ditches before the harvest-time’, presumably on the seigneurial demesne. Once the harvest was over these temporary obstacles were removed. The custom started to die out in the twelfth and thirteenth centuries. It had originated in an age of less systematic cultivation, when the waste, roamed by grazing herds, encroached on the arable from all sides. Once the arable became more compact and distinct from the grazing land, as the result of the large clearances, this labour of Penelope lost its point. In many open-field regions it was now the practice to maintain permanent barriers at certain points along the borders of the arable. In Clermontois villagers were obliged to erect fences separating their fields from the highway; although at first temporary structures, in time these barriers developed into stout thorny hedges. In Hainault and Lorraine border fences along roads or commons became the normal rule. In Béarn fences were needed to protect the permanent cultivation of the plaines from animals wandering on the coteaux, where the temporary fields were also enclosed; one finds a similar arrangement in Scotland, where walls separate the infield from the outfield, which was devoted to grazing and intermittent cultivation. Elsewhere, as in the Haguenau region of Alsace, barriers were sometimes used to divide up the arable land into a few large compartments.

Mais franchissons ces lignes de défense, s’il en est (elles manquaient en bien des lieux). Sur les labours, aucun obstacle n’arrêtera plus nos regards ou nos pas. De parcelle à parcelle toujours, souvent le groupe de parcelles à groupe de parcelles, point d’autre limite que tout au plus quelques bornes, enfoncées dans le sol, parfois un sillon laissé inculte, plus souvent encore une ligne purement idéale. Tentation bien dangereuse offerte à ceux que la langue paysanne appelait du nom pittoresque de « mangeurs de raies » ! Un soc de charrue promené, plusieurs années durant, un peu au-delà de la démarcation légitime, et voilà un champ agrandi de plusieurs sillons (ou « raies »), c’est à dire d’une quantité de terre qui, pour peu, comme c’est généralement le cas, que la pièce soit longue, représente un gain fort appréciable. On cite telle parcelle qui s’accrut ainsi, en une soixantaine d’années, de plus du tiers de sa contenance primitive. Ce « vol » « le plus subtil et le plus difficile à prouver qu’il puisse y avoir », dénoncé par les prédicateurs du moyen-âge comme par les magistrats de l’Ancien Régime, était — est peut être encore — un des signes sociaux caractéristiques de ces « rases campagnes » où le champ indéfiniment succède au champ, sans que rien de visible avertisse que l’on passe d’un bien à un autre, où, comme dit un texte du XVIIIe siècle, à moins que le relief ne s’y oppose, « un cultivateur voit du même coup d’œil ce qui se passe sur toutes les pièces de terre qu’il a dans une plaine ou dans un même canton ». On a reconnu — car, sur ce point le paysage agraire ne s’est guère modifié — les aspects « désencombrés » chers à Maurice Barrès.

But once these defences – often totally lacking – have been crossed, there is no further obstacle to impede the gaze or obstruct footsteps. There may be some kind of demarcation between groups of parcels (never between individual parcels), but it will rarely be anything more substantial than a few stones sunk in the soil or perhaps an uncultivated furrow; it may even take the form of a purely imaginary line. Here was temptation indeed for ‘devourers of furrows’, to use a graphic rural idiom. A plough driven year after year only a little beyond its lawful course could add several furrows to a parcel, which might well represent a considerable accretion, especially where the new furrows were as long as the old, as was usually the case. It is on record that one parcel was enlarged to more than a third of its original size in the course of sixty years. These ‘thefts’, ‘as surreptitious and difficult to prove as any we are likely to encounter’, were denounced by medieval preachers and magistrates of the Ancien Régime with equal fervour; they were a social evil peculiar to ‘champion’ country (they may be still), where field succeeds field with nothing to show where one property ends and another begins, so that unless some rising ground intervenes ‘the husbandman sees at a glance all that is happening on the parcels he possesses in a single quartier, or even over the whole field’, to quote an eighteenth century writer. In its visual impact such countryside has altered little and one recognises the ‘uncluttered’ landscapes so dear to Maurice Barrès.

Mais, pour n’être marquées par aucune clôture, les limites des possessions n’en existent pas moins. Leurs lignes composent un étrange dessin, à double compartimentage. D’abord, un certain nombre d’une dizaine environ — à quelques dizaines — de grandes divisions. Comment les appeler ? Variable, à son ordinaire, le langage rural nous offre un grand choix de termes, qui diffèrent selon les régions ou même les villages : « quartiers », « climats », « cantons », « contrées », « bènes », « triages », dans la plaine de Caen le mot, sûrement scandinave (il se retrouve dans l’Angleterre de l’Est, longtemps occupée par les Danois) de « delle », et j’en passe. Pour simplifier, adoptons quartier. Chacune de ces sections a son nom propre, constitue, an sens du cadastre, un « lieu dit ». On parlera, par exemple, du « Quartier de la Grosse Borne », du « Climat du Creux des Fourches », de la « Delle des Trahisons ». Parfois des limites visibles bornent telle ou telle de ces unités : replis du sol, ruisseau, talus fait de main d’homme, haies. Mais souvent rien ne la distingue de ses voisines sinon une orientation différente des sillons. Car la caractéristique même d’un quartier est d’être un groupe de parcelles accolées, dont les « raies » sont toutes dirigées dans le même sens, qui s’impose aux occupants. Parmi les griefs que l’administration lorraine faisait aux paysans qui, revenus sur leurs terres après la guerre, négligeaient d’en respecter les coutumes, figure celui de « labourer de travers ».

But although unmarked by any physical barrier, boundaries certainly existed. The lines they traced produced a curious pattern in parallel compartments. The major divisions, varying in number from ten to a score and more, were known by many different names, which as usual change from region to region, even from village to village: quartiers, climats, cantons, contrées, bènes, triages, delles, to name only a few. Delle, which must be Scandinavian in origin (it also occurs in eastern England, long under Danish occupation) belongs to the lowlands around Caen. Quartier (the English equivalent is furlong) will be the term used here. Each had its proper name, in census language a ‘lieu dit’: for example, the quartier de la Grosse Borne, the climat du Creux des Fourches, the delle des Trahisons. On occasion a quartier might be bounded by a visible limit, a hump in the ground, a stream, a man-made embankment or hedge. But often the only feature distinguishing one from another was the orientation of the furrows, for all the furrows of a quartier had to run in the same direction. The crime of cross-ploughing was among the charges levelled by officials in Lorraine against peasants who ignored the old customs when they came to reoccupy their lands after the wars.

Quant aux parcelles, entre lesquelles se subdivise ce premier quadrillage, elles forment, sur toute la surface du terroir, un réseau très menu — car leur nombre est fort élevé — et d’apparence très singulière : car elles ont à peu près toutes la même forme, qui est étonnamment dissymétrique. Chacune d’elles s’étire dans le sens des sillons. Sa largeur, au contraire, perpendiculaire à cet axe, est des plus faibles, égalant à peine, en bien des cas, le vingtième de la longueur. Certaines se composent de quelques sillons, qui se prolongent sur une centaine de mètres. Il est possible que cette disposition ait été parfois exagérée, en des temps proches de nous, par les partages entre héritiers ; pourtant, lorsque les pièces avaient atteint un certain excès de minceur, on s’accordait en général à ne plus les sectionner que par des lignes perpendiculaires à leur plus grande dimension, rompant ainsi avec le principe qui voulait que chaque bande touchât, des deux bouts, les limites du quartier. De même, du IXe au XIIe siècle, la fragmentation des anciens domaines seigneuriaux, composés généralement de portions plus vastes, qui furent alors alloties entre les paysans, multiplia, selon toute apparence, les parcelles allongées. Mais certainement le dessin, dans ses traits fondamentaux, était très ancien. Les temps modernes, en amenant, comme nous le verrons, d’assez fréquents rassemblements de terres, en ont plutôt atténué qu’accentué les particularités. Déjà les textes médiévaux, dans les terroirs ainsi constitués, se contentent, à l’ordinaire, pour indiquer la position d’un champ, de noter le nom du quartier et les possesseurs des pièces situées sur les deux longs côtés du morceau envisagé : la place de la lanière dans le faisceau de lanières parallèles.

The village lands were in fact laid out like a chequer-board, subdivided into a tissue of innumerable minute parcels which produced a very odd effect, since they were nearly all of the same markedly asymmetrical shape. The length of the parcels corresponded to that of the furrow. But their width, perpendicular to the axis traced by the plough, was exiguous, in many cases less than a twentieth of the length. Strips made up of several consecutive furrows might be as much as a hundred metres long. It is possible that this particular effect has been accentuated by partitions among heirs at a relatively recent date; the more usual way of dealing with strips which had become impossibly long and thin was to allow the next partition to be made crosswise at the widest point, in contravention of the rule that both ends of a strip should touch the boundary of a quartier. It is also likely that the number of elongated strips increased with the rather larger parcels which had previously formed part of the lord’s demesne were redistributed among the peasants between the eleventh and twelfth centuries. In its fundamental characteristics the pattern was certainly very ancient. The relatively frequent amalgamation of plots in more recent times has tended to obliterate rather than accentuate the identity of the separate parcels, as we shall see. Even medieval records usually indicate the position of a particular strip merely by reference to the quartier where it was situated and the names of the strip-holders on either side, so that each was known merely by its place in the bundle.

Évidemment chacune de ces étroites découpures, si longue fût-elle, ne représentait qu’une étendue, au total, assez faible. Toute exploitation individuelle, même médiocre, devait donc comprendre et comprenait en effet un nombre considérable de parcelles, réparties en beaucoup de quartiers. Le morcellement et la dispersion des biens était la loi, très antique, de ces terroirs.

It is obvious that whatever it length, the total area occupied by each narrow segment must have been small. Even the most modest individual holding would have to consist of several such parcels, scattered over the quartiers. Dispersal and fragmentation had long been the rule governing village lands laid out on this pattern.

Deux coutumes, qui touchaient au plus profond de la vie agraire, complétaient le système décrit : l’assolement forcé, la vaine pâture obligatoire.

Two further customs, touching agrarian life at its roots, were also essential to the regime: compulsory crop rotation and communal grazing on the stubble.

Sur ses champs, le cultivateur devait suivre l’ordre accoutumé des, « saisons », c’est-à-dire soumettre chacune de ses parcelles au cycle d’assolement traditionnel sur le quartier auquel elle appartenait : semer à l’automne l’année prescrite, au printemps (si nous sommes en régime triennal) l’année suivante, abandonner toute culture lorsque revenait le tour de la jachère. Souvent, les quartiers se groupaient en soles, fortement constituées, pourvues, comme les quartiers eux-mêmes, d’un état civil régulier que constatait le langage : à Nantillois, en Clermontois, on distinguait ainsi les trois « royes » de Harupré, des Hames, de Cottenière ; à Magny-sur-Tille, en Bourgogne, les « fins » de la Chapelle-de-l’Abayotte, du Rouilleux, de la Chapelle-des-Champs. Sur certains finages, ces soles étaient presque rigoureusement d’un seul tenant, en sorte qu’à la belle saison deux ou trois grandes zones de culture opposaient les contrastes visibles de leur végétation : ici les blés d’hiver ou de printemps, différents par leur taille et leurs couleurs ; là les « sombres », les « versaines », dont la terre brune qui, une année durant, se refusait aux épis, était piquetée par la verdure des graminées sauvages. Tel était le cas, notamment, dans beaucoup de villages lorrains dont les labours, peut-être, ne se trouvaient, aux temps modernes, si régulièrement disposés que parce que, après les ravages des grandes guerres du XVIIe siècle, on les avait été recréés ou régularisés. Ailleurs, tout en conservant assez d’unité pour être désignée par un nom particulier, chaque sole se composait de plusieurs groupes distincts de quartiers : les vicissitudes mêmes de la conquête agricole avaient souvent imposé cette fragmentation. Ou bien encore, comme en Beauce, l’éparpillement était poussé si loin que le terme même de sole n’était plus prononcé : le quartier, pris à part, formait élément d’assolement. A l’intérieur de chacun d’eux, l’uniformité n’en était pas moins rigoureuse. Bien entendu, dans chaque sole ou quartier, les semailles, la moisson, toutes les principales façons culturales devaient se faire en même temps, à des dates que fixaient la collectivité ou sa coutume.

The cultivator was obliged to crop his land in accordance with the traditional courses; each parcel observed the rotation of its quartier, in the sequence of autumn sowing, spring sowing (where triennial rotation was in force) and fallow. The quartiers were often grouped into definite soles or courses, and these, like the quartiers, had their own names, recognised in law: at Nantillois in Clermontois there were the three royes of Harupré, Hames and Cottenière; at Magny-sur-Tille in Burgundy the fins of Chapelle-de-l’Abayotte, Rouilleux and Chapelle-des-Champs. In some places the lands grouped in a sole were all contiguous, so that in the growing season two or three contrasting zones of cultivation might be visible, in one part the winter or spring corn, distinguished by their difference in height and colour, in another the fallow sombres or versaines, their brown earth dotted with the green of wild grasses. This was particularly characteristic of many Lorraine villages in more recent times, perhaps because the ploughlands reinstalled after the devastations of the great wars of the seventeenth century were then arranged in a more regular fashion. Elsewhere, even where the sole was sufficiently a unit to possess its distinctive name, it was made up of several different groups of quartiers, often as a result of the vicissitudes attendant on the conquest of the soil. Sometimes however, as in the Beauce, scattering was so extreme that the sole as such disappeared from view and the quartier became the unit for purposes of crop rotation. But whether the unit was the sole or the quartier, strict uniformity was the rule; sowing, harvesting, and the main works of cultivation all had to be done at the dates fixed by the community or its custom.

Fondé sur la tradition, ce système n’était pourtant pas étranger à toute souplesse. Il arrivait qu’une décision de la communauté fît passer un quartier d’une sole à une autre : tel, à Jancigny, en Bourgogne, le « climat » de Derrière l’Église, cédé, peu après 1667, par l’« épy » de la Fin-du-Port à l’« épy » des Champs-Roux. Le principe même de l’assolement forcé, si impérieux fût-il, souffrait parfois des accrocs. Sur trois finages des vallées de la Meuse et de l’Aire, à Dun, à Varennes, à Clermont, certaines terres, au XVIIIe siècle, — sises, pour la plupart, aux environs des maisons, où la fumure était plus aisée — pouvaient être « ensemencées à volonté » ; elles étaient « hors couture ». Mais, là même, elles ne constituaient qu’une très faible part des labours ; tout le reste était « assujetti à la police de la culture en roye réglée ». Aussi bien, dans ce pays de Clermontois dont nous connaissons, avec une rare exactitude, les usages agraires, ces champs de liberté ne se rencontraient qu’autour des trois agglomérations qui viennent d’être nommées : petites villes, toutes trois, dont la population bourgeoise, plus que tout autre, inclinait à l’individualisme. Des simples villages, sans exception, il était loisible de dire, comme le faisait, de l’un d’eux, un document de 1769, « que l’universalité du territoire » y était « divisée en trois coutures... qui ne peuvent être changées par les cultivateurs ».

Although founded on tradition, this regime was not wholly inflexible. It was possible to change a quartier from one sole or course to another by communal decision: at Jancigny in Burgundy the course of the climat Derrière l’Église was altered shortly after 1667, so that the autumn sowing followed that of Champs-Roux instead of Fin-du-Port. There were even some deviations from the sacrosanct principle of compulsory rotation. For example, in the eighteenth century there were three places in the Meuse and Aire valleys (Dun, Varennes and Clermont) where certain lands, most of them close to the houses and therefore easy to manure, were ‘sown at will’; they were ‘out of course’. These lands admittedly represented a minute fraction of the total arable, leaving all the rest ‘subject to the rules of cultivation by the regular roye’. Moreover there is no other trace of ‘free’ fields throughout the whole of Clermontois, a region for which we have exceptionally full information, and the three places just mentioned were all small townships, whose bourgeois inhabitants doubtless had a greater inclination to act individually than was common. So far as the villagers are concerned, the remark applied to one of them in a document dated 1769 seems a safe generalisation: ‘all the land’ was divided ‘among three courses . . . unalterable by the cultivators’.

Mais voici la moisson faite. Les guérets désormais sont vides de blé ; ils sont terres « vides » ou « vaines » — c’était tout un dans le vieux langage. Tels ils resteront, si le rythme est biennal, pendant plus d’un an. Sommes-nous au contraire sous le règne du triennal ? Les champs qui viennent de porter le blé d’hiver attendent les semailles prochaines jusqu’au printemps ; ceux qui étaient déjà en blé de mars vont entrer dans l’année de jachère. Tout ce « vide » va-t-il demeurer improductif ? Que non ! Les chaumes et surtout, entre les chaumes et après la disparition de ceux-ci, la végétation spontanée qui toujours est si empressée à se développer sur le sol que nul n’a semé, s’offre à la nourriture du bétail. « Pendant les deux tiers de l’année », dit, des paysans franc-comtois, un mémoire du XVIIIe siècle, « les habitans de la campagne ne donnent presque pas d’autres subsistances à leurs troupeaux que la vaine pâture ». Entendez : la pâture sur les terres vaines. Mais faut-il comprendre que chaque exploitant, à son gré, peut réserver son bien à ses bêtes ? La vaine pâture, tout au contraire, est essentiellement chose collective. Ce sont tous les animaux du village, formés en un troupeau commun, qui, selon un ordre que fixent soit les autorités du lieu, soit la tradition, expression elle aussi des besoins généraux, parcourent, en « champoyant », les labours débarrassés d’épis, et le possesseur du champ doit les accueillir, au même titre que les siens propres, confondus dans cette masse.

Let us imagine the harvest is done. The cornfields are cut; they are ‘empty’ or ‘waste’ land (vide or vaine, it makes no difference). If biennial rotation is in force, they will remain in this state for more than a year. If rotation is triennial, the fields which bore the winter corn will not be sown again until spring; those which had the spring corn now enter on their fallow year. Must the void remain barren? Most certainly it must not. There is nourishment for livestock in the stubble and in the spontaneous growth which appears so rapidly on unsown land and will continue after the stubble has gone. An eighteenth century memorandum on the peasants of Franche-Comté remarks ‘for two-thirds of the year the inhabitants of the countryside make almost no provision for their herds apart from grazing on the waste’. But this did not allow each man to graze his beasts on his own stubble, just as he pleased. Pasture on the waste was essentially a communal matter. All the animals of the village were formed into a common herd, which roamed over the harvested arable lands in a sequence fixed by the local authorities or by tradition (always the faithful protector of communal interests), browsing as they went; and the owner of each plot had to welcome the whole herd as his own.

Aussi bien, ces troupeaux errants exigeaient de si vastes espaces que les frontières des propriétés n’étaient pas les seules à s’abaisser devant eux, celles même des terroirs ne les arrêtaient pas toujours. Dans la plupart des pays où régnait la vaine pâture, elle s’exerçait — sous le nom de parcours ou entrecours — de finage voisin à finage voisin : chaque communauté avait le droit d’envoyer paître ses bêtes sur tout ou partie, selon les régions, des guérets du village limitrophe, parfois même jusqu’au troisième village. Tant il est vrai que la terre vide était soumise à un régime d’appropriation bien distinct de celui de la terre « empouillée ».

The roaming herd needed so much space that barriers between communities as well as between properties went down before it. In most of the regions where common grazing on the stubble was the rule the villages allowed commonage or intercommoning; under this arrangement each community was entitled to graze its livestock on some or all (it varied with the region) of the fields of the adjacent village; sometimes as many as three villages were involved. There could be no more convincing proof that the arable waste was treated very differently from land with growing crops.

Cette dépaissance, enfin, n’étendait pas son empire sur les seuls labours. Les prés, eux aussi tout ouverts, y étaient également sujets ; cela, à l’ordinaire, dès la première herbe fauchée. Seul le « premier poil », comme disent les vieux textes, appartenait à l’exploitant. Le regain revenait à la communauté : soit que celle-ci — tel était, sans doute, l’usage le plus ancien — l’abandonnât, sur pied, aux troupeaux, soit qu’elle choisît plutôt de le faire couper, pour le distribuer entre tous les villageois ou même le vendre. Possesseurs de prairies ou de champs, « les détenteurs de fonds », pour parler comme un juriste du XVIIIe siècle, n’avaient « qu’une propriété restreinte et subordonnée aux droits de la communauté ».

The meadows, which like the arable were unenclosed, were also subject to the overriding demands of grazing, especially after the first hay had been cut. Only the ‘first coat’, as the old texts have it, belonged to the owner of the meadow. The aftermath fell to the community, who might allow the herd to graze on the hay as it stood (doubtless the traditional practice) or else have it cut, either for distribution among the villagers or even for sale. The owners of meadows and fields, known in eighteenth century legal language as ‘detenteurs du fonds’ enjoyed ‘only a restricted right of possession, subordinate to the rights of the community’.

Un pareil système, qui réduisait à l’extrême la liberté de l’exploitant, supposait évidemment des contraintes. La clôture des parcelles n’était pas que contraire aux usages ; elle était formellement prohibée. La pratique de l’assolement forcé n’était pas seulement une habitude ou une commodité ; elle constituait une règle impérative. Le troupeau commun et ses privilèges de dépaissance s’imposaient strictement aux habitants. Mais comme, dans l’ancienne France, les sources du droit étaient fort diverses et passablement incohérentes, l’origine juridique de ces obligations variait selon les lieux. Pour mieux dire, elles reposaient partout sur la tradition ; mais celle-ci s’exprimait sous des formes diverses. Lorsque, vers la fin du XVe siècle et au cours du XVIe, la monarchie fit mettre par écrit les coutumes des provinces, plusieurs d’entre elles insérèrent, dans leurs prescriptions, le principe de la vaine pâture collective et l’interdiction de clore les labours. D’autres s’en abstinrent, soit oubli, soit, dans certaines régions qui obéissaient, selon les lieux, à des régimes agraires différents, difficulté d’exprimer en détail des usages discordants, soit enfin, comme en Berry, mépris de juristes, formés au droit romain, pour des mœurs fort éloignées de la propriété quiritaire. Mais les tribunaux veillaient. Dès le règne de saint Louis, le Parlement s’opposait, en Brie, à la fermeture des labours. Il devait, en plein XVIIIe siècle, maintenir, dans toute sa force, sur plusieurs villages champenois, l’assolement forcé. « Les coutumes d’Anjou et de Touraine », exposait, en 1787, l’intendant de Tours « ne parlent point de la vaine pâture... mais l’usage immémorial a passé tellement en force de loi sur ce point dans les deux provinces que tout propriétaire en défendrait en vain ses domaines devant les tribunaux ». Enfin, en dernier recours, là même où la loi écrite manquait et aux époques où les magistrats n’appliquaient plus qu’avec une répugnance croissante une tradition qu’attaquaient les agronomes et que les grands propriétaires estimaient fort gênante, la pression collective savait souvent se faire assez énergique pour imposer, par persuasion ou par violence, le respect des vieilles mœurs agraires. Celles-ci, comme l’écrivait, en 1772, l’intendant de Bordeaux, « n’avaient force de loi que par le vœu des habitants » ; elles n’en étaient pas moins contraignantes pour cela. Malheur, notamment, au propriétaire qui élevait une barrière autour de son champ. « Un enclos de haie ne servirait à rien », disait vers 1787, — un propriétaire alsacien qu’on exhortait à des améliorations agricoles, incompatibles avec le pacage commun, « puisqu’on ne manquerait point de l’arracher ». Quelque particulier s’avise-t-il, dans l’Auvergne du XVIIIe siècle, de transformer un champ en verger clos, ce dont la coutume rédigée lui donne le droit ? les voisins abattent la barrière « et il s’en suit des procédures criminelles dont les suites mettent en fuite et en désordre des communautés entières, sans les contenir ». Les textes du XVIIIe siècle parlent à l’envi des « lois rigoureuses qui défendent aux cultivateurs d’enclorre leurs héritages », de la « Loy de la division des finages en trois saisons ». De fait, interdiction de clore, vaine pâture, assolement forcé étaient si bien ressentis comme des « lois » — écrites ou non, pourvues de sanctions officielles ou tirant leur seule force d’une impérieuse volonté de groupe — qu’il fallut, pour les abolir, au temps des grandes métamorphoses agricoles du XVIIIe siècle finissant, toute une législation nouvelle.

A system in which the freedom of the producer was so severely limited must obviously have contained some element of compulsion. Enclosure of strips was not merely contrary to custom; it was formally prohibited. Compulsory rotation was not practiced merely as a habit or from convenience; it was a strict rule. Acceptance of the common herd and its grazing privileges was an inescapable duty. But since the sources of law were so diverse and relatively unco-ordinated, the legal origins of these obligations varied with the different regions: though perhaps a better way of putting it would be to say that they rested on tradition, but a tradition expressed in divers forms. When provincial customs came to be set down in writing, a task begun on the orders of the monarchy in the late fifteenth century and continued during the sixteenth, many codes were found to include the obligation of common grazing on the stubble and prohibitions against the enclosure of arable. In others, however, these provisions were absent, due perhaps to inadvertence, or to the difficulty of finding a common formula for regions with a variety of agrarian systems, or even, as in Berry, to the contempt of lawyers trained in Roman Law for customs so far removed from the conception of ownership enshrined in the Civil Law. But the law courts were on the watch. From the reign of St. Louis the Parlement consistently opposed enclosure of ploughlands in Brie, and in the eighteenth century forced several villages in Champagne to maintain compulsory rotation in all its rigour. In 1787 the intendant of Tours declared ‘the customs of Anjou and Touraine make no mention of common grazing on the stubble . . . but immemorial usage has been so generally regarded as the law on this point that any proprietor in these provinces would have no chance of protecting his lands against it before the courts’. Finally, even if written law was lacking and the time came when magistrates showed growing repugnance at enforcing a tradition attacked by agronomists and highly irksome to owners of great estates, collective pressure was often sufficiently powerful to secure respect for the old agrarian customs, whether by persuasion or violence. As the intendant of Bordeaux wrote in 1772, these customs ‘had no force in law apart from the will of the inhabitants’; but they were none the less binding for that. Woe to the proprietor who erected a barrier round his field! ‘A hedge would serve no purpose’ said an Alsatian landowner who was being urged (c. 1687) to make agricultural improvements which were incompatible with communal grazing ‘since it would certainly be torn down’. In eighteenth century Auvergne it was said that if an individual dared to transform his field into an enclosed orchard, as by written custom he was fully entitled to do, his neighbors would destroy the fence ‘and criminal proceedings ensue, the result of which would be the dispersal and disruption of whole communities without bringing about their submission’. Many eighteenth century texts make approving references to ‘the strict laws forbidding men to enclose their patrimony’ and the ‘law of three course husbandry’. In fact, prohibition of enclosure, communal grazing on the stubble and compulsory crop rotation were all so strongly felt to be ‘laws’ (whether they were written or unwritten, whether they were imposed by official sanction or the imperious will of the group was quite immaterial) that when the great agricultural transformations of the late eighteenth century made their suppression unavoidable it took on an entirely new code to replace them.

Mais ce qui, peut-être plus que toute autre raison, contribua à maintenir ces règles, — lors même, parfois, qu’elles avaient déjà perdu toute sanction juridique — ce fut qu’elles constituaient, matériellement, un admirable engrenage. Rien de mieux lié, en effet, qu’un pareil système, dont l’« harmonie » forçait encore, en plein XIXe siècle, l’admiration de ses plus intelligents adversaires. La forme des champs et la pratique de la vaine pâture conspiraient, avec une vigueur égale, à imposer l’assolement commun. Sur ces bandes invraisemblablement étroites et qui souvent, enclavées dans le quartier, ne pouvaient s’atteindre sans franchir les bandes voisines, les façons culturales fussent devenues presque impossibles si un même rythme n’avait commandé tous les exploitants. Et comment, sans l’obligation régulière du repos, les bêtes du village eussent-elles trouvé d’assez grandes étendues de jachère pour assurer leur nourriture ? Les nécessités du pacage s’opposaient, de même, à toute fermeture permanente autour des parcelles : ces obstacles eussent empêché le cheminement du troupeau. Mais les clôtures n’étaient pas moins incompatibles avec la forme des champs : pour enclore chacun de ces parallélogrammes étirés, quelles ridicules longueurs de barrière ! que d’ombre jetée sur l’humus ! et par quel moyen, si toutes les pièces avaient été ainsi défendues, passer, pour les cultiver, de l’une à l’autre ? Enfin, sur ces minces lanières, il eût été évidemment difficile de faire paître, sans qu’elles tondissent l’herbe du voisin, les seules bêtes de l’exploitant : en sorte qu’un système de dépaissance collective, pouvait, vu le dessin du terroir, paraître le plus commode de tous.

The fact that these rules survived even when they had lost all legal sanction was perhaps mainly due to the smoothness of their interaction in practice. It is difficult to imagine a more coherent system, and even in the nineteenth century its ‘harmony’ could still arouse the grudging admiration of the most sophisticated critics. The layout of the fields and the practice of communal grazing on the stubble were powerful and allied incentives to the adoption of compulsory rotation. Such improbably narrow strips, which were often so situated that they could only be reached by crossing those on either side, would have been impossible to work except under an agreed cycle of cultivation. Deference to the needs of communal grazing ruled out the possibility of erecting permanent fences on the arable which would obstruct the movements of the herd. Enclosure was also made difficult by the layout of the fields; to fence off each of those elongated parallelograms would have been tedious and absurd, quite apart from the inconvenience of the resulting shadow and of getting from one strip to another. Finally, given the difficulty of preventing grazing animals from straying outside the narrow pasture offered by a single strip, a system of communal grazing may well have seemed the most sensible arrangement.

Sous ces traits sensibles, sachons cependant voir les causes humaines. Un pareil régime n’a pu naître que grâce à une grande cohésion sociale et à une mentalité foncièrement communautaire. Œuvre collective, d’abord, le terroir lui-même. On ne saurait douter que les divers quartiers n’aient été constitués peu à peu, à mesure que, sur les terres naguère incultes, progressait l’occupation. Aussi bien, en avons-nous des preuves irréfutables, qui attestent, du même coup, que les principes auxquels avait obéi, dans la nuit des temps, la constitution de terroirs peut-être préhistoriques, continuèrent, à travers les siècles, à présider aux créations nouvelles. Autour de plus d’un village, que son nom dénonce comme pour le moins gallo-romain, tel ou tel faisceau de champs en longues bandes, par le mot même qui le désigne (les Rotures, par exemple, de ruptura, défrichement) ou parce qu’il est soumis aux dîmes « novales », se révèle conquête médiévale. Sur le sol des « villes neuves », établies, aux XIIe et XIIIe siècles, en pays de champs généralement ouverts et allongés, on relève, avec plus de régularité parfois, un compartimentage et un dessin parcellaire analogues à ceux des plus vieilles terres. Le finage de l’agglomération détruite de Bessey, en Bourgogne, qui fut récupéré sur la brousse, aux XVe et XVIe siècles, par les habitants des localités voisines, présente tous les traits qui ont été dépeints plus haut. En plein XIXe siècle encore, des villages de l’Auxois, partageant leurs communaux, constituaient les lots sous forme de champs très minces et très longs, parallèles les uns aux autres. Or, à l’intérieur de chaque quartier, qu’il fût issu de défrichements relativement récents ou remontât au lointain des âges, la disposition des étroites parcelles qui se serrent les unes contre les autres n’a guère pu être réalisée, chaque fois, que sur un plan d’ensemble, réalisé en commun. Fut-ce sous les ordres et la direction d’un maître ? La question, pour le moment, n’est pas là. Pour avoir un chef, un groupe, après tout, n’est pas moins groupe. Cet arrangement imposait la concordance des assolements. Comment croire que cette conséquence n’ait pas été prévue ? et acceptée comme toute naturelle, parce qu’elle répondait aux tendances de l’opinion commune ?

Only a society of great compactness, composed of men who thought instinctively in terms of the community, could have created such a regime. The land itself was the fruit of collective labour. The various quartiers must have been built up little by little as fresh uncultivated land was taken in. Moreover, there is uncontestable evidence to show that the methods adopted for the creation of some of our earliest, perhaps prehistoric, fields were still used as new gains were made over the centuries. It is possible to point to more than one village, whose name betrays it as at latest a Gallo-Roman foundation, in which the outlying bundles of strips can be shown as medieval additions, recognisable as such either by their names (Rotures, for example, from rupture, clearance) or by their assessment for tithe as novales. Still more common is to find villes neuves, established during the twelfth and thirteenth centuries in predominantly open-field regions, in which the pattern of quartiers and strips characteristic of the older settlements is repeated. The lands of the ruined village of Bessey in Burgundy which were recovered from brush by the inhabitants of neighbouring townships during the fifteenth and sixteenth centuries present all the features set out above. And as late as the nineteenth century, when villagers in Auxois came to share out their commons they shaped the resulting plots into very long strip fields, arranged side by side. Now, no matter whether a quartier was of recent or ancient origin, it is hardly likely that so precise an arrangement of the narrow parcels could have been achieved without a master plan, reached by common agreement. We need not at present concern ourselves with the possible existence of a leader. A group is no less a group for having a superior. The arrangement also implies agreement over crop rotation, which must surely have been foreseen and equally surely accepted, since it corresponded so clearly to the general idea of what was natural and right.

Quant à la vaine pâture, ne disons point qu’elle était impérieusement exigée par la forme des champs. A tout prendre, on eût pu parer aux inconvénients de cette disposition, si chaque cultivateur, réservant son champ à ses bêtes, les y avait, comme on le faisait et le fait encore, nous le verrons, en d’autres régimes agraires, maintenues à l’attache. Collective, la dépaissance, en vérité, l’était, avant tout, en vertu d’une idée, ou d’une habitude de pensée : la terre vide de fruits cessait, croyait-on, d’être capable d’appropriation individuelle. Écoutons nos vieux jurisconsultes. Plusieurs d’entre eux ont admirablement dégagé cette notion ; nul mieux que, sous Louis XIV, Eusèbe Laurière : « Par le droit général de la France » — entendez celui des contrées de champs ouverts, seules bien connues de Laurière — « les héritages ne sont en défense et en garde que quand les fruits sont dessus ; et dès qu’ils sont enlevés, la terre, par une espèce de droit des gens, devient commune à tous les hommes, riches ou pauvres également ».

So far as communal grazing on the stubble is concerned, we cannot in honesty say that it was made inevitable by the shape of the fields, awkward though this was. The inconvenience of keeping animals to individual strips could have been avoided by tying them up, as was (and is still) the practice under certain other agrarian regimes. The truth is that communal grazing arose first and foremost from an attitude of mind, from the notion that once land became unproductive it was no longer capable of individual exploitation. It is interesting to see what the older legal authorities have to say on this point. Among many admirable expressions there is none better than that of Eusèbe Laurière, writing in the reign of Louis XIV: ‘Under the general law of France’ – he means the parts of France covered by open-fields, the only regions he knew well – ‘the plots are under care and protection only while the crops are showing; once they have been taken in, the ground becomes as it were subject to the law of nations and the common property of all, rich and poor alike’.

Aussi bien, cette pression vigoureuse de la collectivité se faisait sentir par bien d’autres usages encore. Laissons, si l’on veut, le droit de glanage ; particulièrement tenace dans les régions qui nous occupent en ce moment et, chez elles, en fait sinon en droit, étendu le plus souvent, non seulement aux invalides ou aux femmes, mais, sur tous les champs indistinctement, à la population entière, il ne saurait pourtant être tenu pour caractéristique d’aucun régime agraire ; appuyé sur la Bible, il était en France, sous des formes plus ou moins accentuées ou atténuées, presque universel. Rien de plus significatif, en revanche, que le droit d’« éteule ». Une fois libre de moissons, la terre n’est pas immédiatement abandonnée aux bêtes ; les hommes d’abord s’y répandent à la recherche des chaumes — c’est le sens d’éteule — qu’ils emploient à couvrir leurs maisons, dont ils feront des litières pour leurs étables, parfois qu’ils brûleront à leurs foyers ; ils les prélèvent sur les labours, sans se préoccuper des limites des parcelles. Et cette faculté paraît si respectable que l’exploitant n’a point la permission d’en réduire le profit, en faisant couper les blés trop près du sol. La faux est réservée aux prairies ; sur les emblavures — les Parlements, au XVIIIe siècle encore, y tiendront la main — seule est autorisée fa faucille, qui tranche haut. Ainsi, sur les nombreux terroirs où cette servitude s’exerce, et qui tous sont de champs allongés, la récolte elle-même n’appartient pas tout entière au maître de la terre ; l’épi est à lui, la paille, à tout le monde.

There were still further manifestations of the strength of the collective idea. The Biblical custom of gleaning, which might be thought a good example, was actually so common in one form or another that it cannot be linked with any particular agrarian regime, although it was certainly a dominant feature of open-field regions, where in practice if not in law it was likely to be available over the whole arable and to the whole population, not merely the women and infirm. The right to ‘stubble’ on the other hand, is full of significance for our present discussion. When the harvest was over and before the livestock were given the run of the fields, the villagers were entitled to gather straw from the stubble, which they used as thatch for their houses, litter for their stables, and sometimes fuel for their fires; everyone was free to range over the entire field, without regard to parcel boundaries. The right was so highly regarded that no grower was allowed to minimise its value by cutting his corn too close to the ground. Scythes were not allowed, except on meadows; the cornfields had to be reaped with sickles, which cut much higher; even in the eighteenth century Parlements were still concerned to enforce this rule. Thus in the many places where this obligation existed – always open-field country – even the harvest was not the sole property of the land’s master: the ear was his, but the straw belonged to the community.

Certes, il n’est pas absolument vrai que, comme pourrait le faire croire la phrase de Laurière, ce système fût égalitaire. Pauvres et riches participaient aux servitudes collectives, mais non point pareillement. D’ordinaire chaque habitant, n’eût-il pas le moindre lopin de terre, a le droit d’envoyer au troupeau commun quelques bêtes ; mais, en plus de cette part, qui constitue le minimum attribué à chacun, le nombre des animaux est, pour tout cultivateur, proportionnel à l’étendue des terres qu’il exploite. La société rurale comportait des classes, et fort tranchées. Les riches comme les pauvres cependant subissaient la loi traditionnelle du groupe, gardien à la fois d’une sorte d’équilibre social et de la balance entre les diverses formes de mise en valeur du sol. Du type de civilisation agraire qui s’exprime par le régime des champs allongés et obligatoirement ouverts, ce « communisme rudimentaire » — pour parler comme Jaurès, dans les premières pages de son « Histoire de la Révolution », toutes brillantes de divination historique — était le signe propre et la raison d’être profonde.

It must be admitted that the system was not quite so egalitarian as Laurière makes out. Both rich and poor certainly observed their communal obligations, but they were not on an equal footing. The usual rule was that each inhabitant, however small his holding, had the right to contribute so many animals to the common herd; beyond this minimum, the number of beasts allowed to each individual depended on the extent of his lands. Rural society was composed of clearly defined classes. Rich and poor alike were bound by the custom of the whole group, which helped to preserve some kind of balance between these social classes and the different ways of exploiting the soil. The ‘rudimentary communism’ – to borrow an expression used by Jaurès in the brilliant and prophetic early pages of his ‘Histoire de la Révolution’ – was at once the hall-mark of the type of agrarian civilisation which found its expression in open-fields with long furlongs and the very reason for its existence.

Très largement répandu en France, ce régime n’était d’ailleurs point spécifiquement français. Impossible, jusqu’à achèvement d’une plus minutieuse enquête, d’en tracer les frontières précises. Quelques indications devront suffire. Il régnait en maître sur toute la France au nord de la Loire, à l’exception du Pays de Caux et des régions encloses de l’Ouest ; de même, sur les deux Bourgognes. Mais cette zone elle-même n’était qu’un fragment d’une aire beaucoup plus vaste qui couvrait une grande partie de l’Angleterre, presque toute l’Allemagne et jusqu’à de larges espaces des plaines polonaise et russe. Les problèmes d’origine, sur lesquels nous aurons à revenir, ne peuvent donc être traités que sur le plan européen. Ce qui formait un trait beaucoup plus particulier à notre pays, c’était la coexistence, sur notre sol, de ce système avec deux autres, qu’il va maintenant falloir examiner.

Although very widespread in France, there was nothing uniquely French about this regime. Its precise frontiers would be impossible to trace without the help of much more detailed studies. Roughly speaking, it reigned supreme in the whole of France north of the Loire, except in the tablelands of Caux and the enclosed areas of the west, and was equally dominant in both Burgundies. This French zone, however, was itself only a part of a much greater area which covered much of England, almost the whole of Germany and even took in large tracts of the Russian and Polish plains. The question of origins, to which we shall have to return, must be looked at in a European context. What was peculiar to the regime in its French setting was its co-existence with two other regimes, to which we must now turn.

4. Les régimes agraires : champs ouverts et irréguliers

4. Agrarian Regimes: Open and Irregular Fields

Imaginons des labours dépourvus de clôture, pareils, en cela, à ceux qui viennent d’être décrits ; mais les parcelles, au lieu d’affecter l’apparence de longues et minces bandes, régulièrement groupées en quartiers de même orientation, sont de formes variables, sans grande différence entre leurs deux dimensions et, jetées sur le terroir comme au hasard, elles le découpent en une sorte de puzzle, plus ou moins capricieux. Nous aurons sous les yeux le tableau qu’offraient à nos ancêtres et qu’offrent encore, à qui sait voir, les campagnes de la plus grande partie du Midi rhodanien, du Languedoc, des pays de la Garonne, du Poitou, du Berry, et plus au nord, du Pays de Caux. Dès le XIe siècle, en Provence, des champs dont les dimensions, par chance, nous sont données, ont une largeur qui atteint, selon les cas, de 48 à 77 % de la longueur. Européen, comme le précédent, plutôt que français, ce régime, hors de nos frontières, paraît avoir été surtout répandu dans des pays dont la constitution agraire, malheureusement, a été moins étudiée que celle de l’Allemagne ou de l’Angleterre : l’Italie par exemple. Appelons le, faute d’un meilleur nom, régime des champs ouverts et irréguliers.

Imagine an expanse of arable, without any visible enclosures. So far the picture is similar to that presented by the fields just discussed. But now imagine the plots instead of being long narrow strips neatly grouped in their quartiers, all pointing in the same direction, are of many different shapes, none much longer than they are broad, and scattered over the ground as though by chance, so that the territory as a whole has the look of a meaningless puzzle. This was (and is still, for those who have eyes to see it) what our southern ancestors saw when they looked at their countryside. It is typical of most of the Midi watered by the Rhône, Languedoc, the Garonne region, Poitou, Berry, and, further north, the Pays de Caux. We happen to have information about the size of Provençal fields from the eleventh century onwards, which shows that their breadth varied from between 48 to 77 per cent of their length. This regime, like that of the open-fields with long furlongs, was European rather than specifically French; unhappily the agrarian structure of other countries where it appears has been much less closely studied than that of Germany or England. For want of a better name, we must call it the regime of irregular open-fields.

Ce n’était point, en son principe, un système d’individualisme. Sous ses formes anciennes, il comportait la vaine pâture collective et obligatoire (« compascuité », disait-on dans le vocabulaire juridique du Midi), avec ses suites naturelles : interdiction de clore et, probablement, une certaine uniformité d’assolement. Mais — nous aurons l’occasion de nous en convaincre — ces servitudes ici disparurent beaucoup plus vite que dans les pays de champs allongés. Selon toute apparence elles n’avaient jamais été aussi rigoureuses. La vaine pâture même, la plus générale et la plus résistante de toutes, existait souvent, dans le Midi, sans être accompagnée de l’obligation du troupeau commun. C’est que le réseau des contraintes sociales était dépourvu de cette solide armature que lui prêtait, ailleurs, la constitution des terroirs. Le possesseur d’une longue parcelle, insérée dans un quartier de parcelles pareilles, ne songeait guère à échapper à la pression collective, parce que, pratiquement, cette tentative se fût heurtée à des difficultés presque insurmontables. Sur un champ large et bien à part, la tentation était plus forte. Aussi bien le dessin agraire lui-même semble indiquer que, sur ces terroirs, l’établissement, dès l’origine, s’était fait sans travail réglé d’ensemble. Parfois, en une contrée de champs allongés, sur un finage qui, dans l’ensemble, est de tout point conforme au schéma normal, on rencontre une petite fraction où les limites parcellaires tracent une figure semblable à celle des régions de champs irréguliers ; ou bien ce sont, soit à l’extrémité de la zone cultivée, soit en clairières au milieu d’un espace inculte, de grandes pièces de terre, d’un seul tenant et presque carrées. Il s’agit de coins qui ont été défrichés tardivement et en dehors de tout plan collectif. Exception là-bas, cet individualisme dans l’occupation, sur les terroirs en puzzle avait évidemment été la règle. Mais, surtout, la raison immédiate du contraste entre les deux types se ramène, selon toute apparence, à l’antithèse de deux techniques.

This was not a regime based of set purpose on individual initiative. In its earliest forms compulsory common grazing on the stubble (compascuité in the legal language of the Midi) was an essential feature, and from this it followed that enclosure was forbidden and that some measure of uniformity in crop rotation was probably prescribed. But, as we shall have occasion to show, these obligations disappeared much more quickly here than in the long-furlong regions, and were apparently never so rigidly enforced. Even communal grazing, the rule most generally observed and longest lived in the Midi, often appears without the complementary duty of forming a common herd. The fabric of social obligations lacked the solid framework elsewhere conferred by the lay-out of the fields. The possessor of a long strip sandwiched between two similar strips could scarcely entertain thoughts of branching out on his own; any such initiative would founder on almost insuperable practical difficulties. But with a broader and more isolated plot the temptation was much stronger. Moreover, as the pattern itself suggests, there can never have been any set plan for the lay-out of these fields. In long-furlong country one sometimes comes across places where although the general plan of the fields may conform to the normal pattern, the parcel boundaries of a small portion follow an irregular course; or again, one may find broad, almost square, patches, all in one piece, situated either at the edge of the cultivated zone or in a clearing of the waste. These odd corners represent later assarts, undertaken without reference to any over-all plan. In regions of long-furlong fields these individual exploitations were the exception; in regions of irregular fields they must have been the rule. But the prime reason for the contrast between the two types appears to lie in an opposition between two techniques.

Deux instruments de labour se partageaient l’ancienne France. Semblables dans la plupart de leurs traits qui, chez l’un comme chez l’autre, allèrent se compliquant à mesure qu’à l’unique pointe des temps primitifs se substituait le double jeu du coutre et du soc et qu’aux parties tranchantes s’ajoutait le versoir, ils différaient cependant, profondément, par un caractère fondamental : le premier dépourvu d’avant-train roulant, traîné, tel quel, par les bêtes sur le champ, le second monté sur deux roues. Rien de plus instructif que, leurs noms. Le modèle sans roues était le vieil outil des agriculteurs qui, les premiers, parlèrent les langues mères des nôtres ; il a gardé partout, en France, et presque partout, en Europe, son nom indo-européen qui, chez nous, est venu par le latin : c’est l’araire de Provence (aratrum), l’« éreau » du Berry et du Poitou, l’« érère » du pays wallon, comme, ailleurs, l’erling des dialectes haut-allemands, l’oralo du russe et ses congénères slaves. Pour le modèle rival, au contraire, pas de terme indo-européen commun : son apparition, pour cela, fut trop tardive et son aire d’extension, trop limitée. Dans le français, non plus, pas d’étiquette tirée du latin : car l’ancienne agriculture italiote, en dehors de la Cisalpine, l’a toujours ignoré ou dédaigné. En France, on disait : charrue. Le mot, incontestablement, est gaulois. Pas de doute, non plus, sur son sens premier : tout proche de « char » ou « charrette », il s’était appliqué, originairement, à une forme particulière de voiture ; quoi de plus naturel que d’emprunter à l’objet qui, par essence, comportait des roues, le nom de l’ensemble nouveau où la roue s’unissait au soc ? De la même façon, Virgile appelait l’instrument aratoire qu’il décrivait, non aratrum — car, élevé dans un pays plus qu’à demi celtique, il ne le concevait pas sana avant-train, — mais, tout bonnement, char, « currus ». Les langues germaniques de l’Ouest usaient, pour désigner le même type technique, d’un tout autre mot, qui, d’elles, a passé aux langues slaves : celui dont l’allemand moderne a fait Pflug, — vocable mystérieux qui, si l’on en croit Pline, eût d’abord été employé au sud du haut Danube, par les Rètes, tirerait, par conséquent, son origine d’un vieux parler, aujourd’hui et dès longtemps tout à fait effacé, peut être étranger au groupe indo-européen. Quant à l’invention elle-même, il semble bien que Pline — son texte malheureusement est obscur et a dû être restitué — la plaçât en « Gaule ». Mais quel crédit attribuer à son opinion ? Il voyait l’instrument employé chez les Gaulois. Que savait-il de plus ? Une seule chose est certaine : quel que soit le point où, peut-être avant que Celtes ni Germains n’occupassent leurs habitats historiques, la charrue, au sens propre du mot, apparut d’abord et d’où elle rayonna, on doit la tenir, sans hésitation, pour une création de cette civilisation technique des plaines du Nord qui, de toutes façons — les Romains en avaient été frappés — , fit de la roue un si large et si ingénieux emploi. Aussi bien comment douter qu’elle ne soit fille des plaines ? C’est pour tirer de belles raies toutes droites sur les vastes espaces limoneux arrachés à la steppe primitive qu’elle fut d’abord construite. Aujourd’hui encore elle répugne aux pays trop accidentés ; ce n’est point chez eux qu’elle pouvait prendre naissance.

Two kinds of plough divided between them the task of tilling our ancient fields. Many features were common to both and evolved in the same way, so that in both cases the single primitive digging-stick came to be replaced by the double action of share and coulter, with the cutting parts reinforced by a mould-board. Nevertheless they differed profoundly in one fundamental feature: the araire was wheel-less and had to be dragged across the fields, while the charrue was mounted on wheels. The names given to these implements are highly instructive. The wheel-less model was the ancient tool used by farmers whose ancestors spoke tongues from which our own are descended; in France, and throughout most of Europe, this plough has retained its Indo-European name, which to us has come down by way of Latin: araire in Provence (aratrum), éreau in Berry and Poitou, érère in Walloon country, erling in High German dialects, oralo in Russian and its Slavonic congeners. But there is no word of Indo-European root for the rival model, which arrived too late and occupied too limited a field for this to be possible. Even its French name owes nothing to Latin, since this plough was either unknown or spurned in ancient Italy, except in the Cisalpine parts. In France the word was charrue, indisputably Gallic. Nor can there be any doubt as to its original affiliations: a near relation of char or charrette, charrue was originally used to describe a particular form of carriage. It was only natural that a vehicle whose salient feature was its wheels should lend its name to this new assemblage in which the plough-share was linked to a wheel. Virgil was guided by the same logic when he called the plough he describes not an aratrum but a currus or chariot; brought up in a region more than half Celtic, he could not imagine an unwheeled plough. The Germanic languages of the West used an entirely different word, in modern German Pflug, to describe the wheeled model, and their term passed into the Slavonic languages. If we are to believe Pliny, this mysterious word was invented by the Rhaetians living to the south of the upper Danube, which would make it of very ancient origin, derived from a language long since vanished and perhaps a stranger to the Indo-European family. Pliny seems to suggest – his text is unfortunately obscure and must have been restored – that the wheeled plough itself was invented in ‘Gaul’. But how far can we trust this opinion? Pliny had seen the wheeled plough in use among the Gauls, but what more did he know? Only one thing seems certain; wherever and whenever it originated – perhaps before either Celts or Germans had become settled in their historic territories – the wheeled plough must undoubtedly be regarded as a creation of the agrarian technology which ruled the northern plains, where the wheel in all its aspects was put to ingenious and comprehensive use, as the Romans were quick to notice. In any case, how can we doubt that the wheeled plough was a child of the lowlands? It was first invented to draw clean straight lines across wide tracts of loam gouged from the primeval steppe. On rugged ground the wheeled plough is useless, even today; it could never have been born in such an environment.

Si l’on s’était préoccupé à temps de recueillir les renseignements nécessaires — aujourd’hui encore la tâche ne serait pas tout à fait impossible ; mais il faudrait se hâter — on connaîtrait sans doute avec assez d’exactitude la répartition sur notre sol de la charrue et de l’araire, telle qu’elle se présentait avant les grands bouleversements techniques de l’époque contemporaine. Dans l’état actuel des recherches, même pour ce moment si proche de nous, elle ne peut être reconstituée avec précision. A plus forte raison, voit-on son détail et ses vicissitudes se brouiller de plus en plus, à mesure qu’on remonte vers un passé plus lointain. Elle n’était d’ailleurs pas sans complexité : l’araire étant l’instrument le plus ancien, il a parfois été conservé pour certains labours légers dans les pays même qui, en principe, avaient, et dès longtemps, adopté la charrue. En dépit de toutes ces difficultés, cependant, ce qu’on aperçoit suffit à nous montrer que la zone moderne de la charrue — qui, par là même, se révèle comme très anciennement fixée dans son extension — correspond à peu près aux champs allongés ; celle de l’araire, par contre, aux champs irréguliers. Les champagnes berrichonnes et poitevines nous offrent l’occasion d’une expérience véritablement cruciale. Dans leur constitution géographique tout semblait appeler des terroirs d’un dessin pareil à ceux de la Beauce ou de la Picardie (j’avoue qu’avant de les connaître, je m’attendais à les trouver telles). Mais elles sont pays d’« éreau ». Donc, point de longues bandes, groupées en quartiers ; au contraire un réseau assez incohérent de champs grossièrement voisins du carré.

If anyone had bothered to gather the necessary information while there was still time – the task would not be impossible even now, though haste is vital – we might be able to form a fairly accurate picture of the distribution of the two ploughs on the eve of the great agrarian revolution of modern times. In the present state of research the pattern is difficult to reconstruct even for an epoch so close to our own. A fortiori, the details and deviations become more and more confused the further back one goes. And there are other complications: the older instrument, the unwheeled plough, was sometimes retained for lighter soils even in regions where the wheeled plough had long since been accepted as standard. Despite these difficulties, however, what we can see is enough to show that the area now occupied by the wheeled plough (and by the same token we can deduce that its limits were fixed at a very early date) corresponds very closely to the region of long-furlong open-fields; the unwheeled plough on the other hand belongs to the country of irregular open-fields. The champion lands of Berry and Poitou provide us with a really crucial test. One might think, from their geographical constitution, that their field patterns would be similar to those of the Beauce or Picardy; I must confess that this was my own expectation before I came to know them. But this is éreau territory. So, instead of long strips grouped in quartiers, we find a somewhat haphazard network of plots, roughly square in shape.

Le Pays de Caux pose un problème plus délicat. Probablement les particularités de sa carte agraire en puzzle sont une suite de son peuplement. Dans la péninsule scandinave, la charrue à roues a été longtemps ignorée et l’est encore en beaucoup de lieux ; l’araire est traditionnel. Sans doute les compagnons de Rollon, occupant en masse, comme nous le savons, le Caux, en ont remanié les terroirs à la mode de leur patrie, usant des instruments dont ils avaient l’habitude. Simple conjecture ? D’accord, et qui ne pourrait être fondée en droit que par une minutieuse étude locale. Jusqu’ici l’histoire de l’occupation scandinave ne s’est guère faite qu’à l’aide des noms de lieux ; il y faudrait joindre l’étude des plans parcellaires. Et qui sait si cette recherche, que seule une alliance entre savants de spécialités et peut-être de nationalités différentes pourrait permettre de mener à bien, n’apporterait pas, entre autres résultats, le mot d’une vieille énigme ? Rien de plus malaisé que de faire le tri, parmi les envahisseurs, entre les divers groupes ethniques. Suédois, Norvégiens, Danois, comment les reconnaître ? Il semble cependant que les établissements danois, à tout le moins, devraient se distinguer des autres, précisément par leur dessin agraire : car, contrairement aux Suédois et aux Norvégiens, les Danois, de bonne heure, ont connu et la charrue et les parcelles étirées en groupes réguliers. Pour l’instant, l’explication de la forme des champs cauchois par l’influence scandinave, ou plutôt suédo-norvégienne, peut trouver une confirmation dans l’examen des nouveaux terroirs créés, dans cette même région, lors des grands défrichements, autour des villes neuves. Là, par un frappant contraste, de nouveau les champs allongés triomphèrent, et, avec eux, le compartimentage par quartiers. C’est que les mœurs agraires des premiers temps de la conquête étaient alors bien oubliées et la charrue, comme aujourd’hui partout en Haute-Normandie, revenue en usage.

The Pays de Caux poses a more delicate problem. The peculiarities of its agrarian map can probably be explained by the way the region was settled. In the Scandinavian peninsula the wheeled plough long remained unknown, as it still is in many parts; the traditional plough was the aratrum. When Rollo’s companions settled en masse in the Caux region, as we know they did, they doubtless redrew the plots after the custom of their homeland, using the implements with which they were familiar. Admittedly, this is all conjecture and can only be substantiated by a minute examination of the terrain. The history of Scandinavian occupation, which has hitherto been based almost exclusively on place-names, needs to be studied by reference to field patterns as well. To be fruitful any such investigation should ideally be undertaken jointly by scholars of different disciplines and perhaps also of different nationalities. One of its incidental rewards might be the solution of another conundrum which has long puzzled scholars, the distribution on our soil of the various ethnic groups among the Scandinavian invaders. It should at least be possible to distinguish the Danish settlements from the rest, on the strength of their field-patterns: unlike the Swedes and Norwegians, the Danes were familiar from an early date both with the wheeled plough and with strip fields arranged in groups. For the moment, however, if we want confirmation of the influence of Scandinavian (i.e. Swedish or Norwegian) settlement on the field patterns of Caux we shall do best to look at the fields around villes neuves, which were taken into cultivation in the great age of assarts. We shall find that the pattern of fields with long strips grouped in quartiers is again predominant, in striking contrast with the older settlements. The agrarian habits of the early days after the conquest have been forgotten, the wheeled plough has come into its own again and is everywhere in use, as in Upper Normandy today.

Qu’aux deux types principaux d’instruments aratoires correspondent deux types de champs différents, il n’y a sans doute à cela rien de bien étrange. La charrue est un admirable outil qui permet, à attelage égal, de fouiller le sol beaucoup plus profondément que l’araire. Mais ses roues même font que, pour tourner, elle exige quelque espace. Gros problème, à la fois technique et juridique, dans les pays de charrue, que ce virage, une fois la raie tracée ! Parfois on disposait sur les deux côtés des quartiers, perpendiculairement à l’axe général des sillons, une bande de terre, qu’on laissait inculte, au moins jusqu’à achèvement du labour sur l’ensemble ; fourrière picarde, butier de la plaine de Caen. Ou bien, de quartier à quartier, les exploitants exerçaient des servitudes de « tournaille » : on imagine quels nids à procès ! De toutes façons, il convient de diminuer le nombre des tournants : d’où la nécessité d’allonger, à l’extrême, les parcelles. L’araire, plus souple, invite, au contraire, à rapprocher les champs du carré, ce qui permet de varier, en cas de besoin, la direction des sillons, voire de les entrecroiser. Partout où, en Europe, nous le rencontrons — en Scandinavie, dans les anciens villages slaves de l’Allemagne orientale, constitués au temps de l’antique oralo —, nous trouvons aussi le dessin parcellaire à deux dimensions presque égales.

There is nothing inherently odd about finding the two main types of plough associated with two different types of fields. The wheeled plough is an admirable tool; given a well-balanced team it attacks the earth much more thoroughly than the aratrum. But because of the wheels it requires more space in which to turn, and allowing for the necessary tacking to and fro once the furrow had been traced presented quite a problem, as much legal as technical in character. Sometimes the difficulty was met by leaving a strip of land unploughed at each edge of the quartier, at right angles to the axis of the furrow, which was ploughed when the rest of the field was finished; in Picardy these headlands were known as fourrières, in the lowlands of Caen as butiers. Alternatively, there might be an obligation on the strip-holders on the edge of adjacent quartiers to allow the plough to turn on their strips, the duty known as tournaille: one can imagine what a hornet’s nest of lawsuits this must have raised! But whatever the means, the aim was to reduce the number of turns, which accounts for the excessive elongation of the strips. The more easily manoeuvred aratrum invited a squarer formation, which allowed for variations in the direction of the furrows where necessary and even for criss-cross ploughing. Wherever this lighter plough is found in Europe – in Scandinavia, in the ancient Slav villages of eastern Germany, which go back to the time of the oralo – the field patterns will be based on squarish plots.

Mais ces considérations matérielles suffisent-elles à tout expliquer ? Certes la tentation est grande de dérouler, à partir d’une invention technique, la chaîne des causes. La charrue commande les champs allongés ; ceux-ci a leur tour maintiennent fortement l’emprise collective ; d’un avant-train ajouté à un soc découle toute une structure sociale. Prenons y garde : à raisonner ainsi, nous oublierions les mille ressources de l’ingéniosité humaine. La charrue, sans doute, oblige à faire les champs longs. A les faire étroits, non pas. Rien, a priori, n’eût empêché les occupants de partager le terroir en un nombre assez faible de grandes pièces, dont chacune se fût étendue assez loin dans les deux sens ; chaque exploitation, au lieu de se composer d’une multitude de bandes, très minces, eut été formée de quelques champs fort longs, mais aussi fort larges. En fait, une pareille concentration semble avoir été, généralement, moins recherchée qu’évitée. En dispersant les possessions, on croyait égaliser les chances ; on permettait à tout habitant de participer à des sols différents ; on lui laissait l’espoir de ne jamais succomber entièrement aux divers fléaux naturels ou humains — grêles, maladies des plantes, dévastations — qui, s’abattant sur le finage, ne l’éprouvaient pas toujours dans son entier. Ces idées, si profondément ancrées dans la conscience paysanne qu’elles s’opposent aujourd’hui encore aux tentatives de maniement rationnel, ont exercé leur action sur la répartition des biens presque autant en pays de champs irréguliers que de champs allongés. Mais dans les premiers, où on se servait de l’araire, pour ne pas faire les pièces trop vastes, tout en leur maintenant une honnête largeur, il suffisait de réduire sur la longueur. L’emploi de la charrue interdisait de procéder ainsi. Là où elle était en usage, on fut donc amené, pour ne pas raccourcir les parcelles et en même temps ne pas leur donner une étendue excessive, à les amincir ; c’était se condamner à les grouper en faisceaux réguliers, sans quoi — hypothèse absurde ! — elles se fussent croisées. Mais ce groupement à son tour supposait une entente préalable entre les occupants et leur acquiescement à certaines contraintes collectives. Si bien qu’on aurait presque le droit, retournant, ou à peu près, les déductions de tout à l’heure, de dire que, sans les habitudes communautaires, l’adoption de la charrue eût été impossible. Mais sans doute est-il bien difficile, dans une histoire que nous ne reconstituons qu’à coups de conjectures, de peser aussi exactement les effets et les causes. Bornons-nous donc, moins ambitieusement, à constater qu’aussi loin que nous pouvons remonter, la charrue, mère des champs allongés, et la pratique d’une forte vie collective s’associent pour caractériser un type, très net, de civilisation agraire ; l’absence de ces deux critères, un type tout différent.

But are these purely material factors a sufficient explanation? It is certainly very tempting to trace the whole chain of causation back to a single technological innovation. The wheeled plough produced long-furlong fields; long-furlong fields provided a powerful and constant incentive to collective practices; and hey presto, a set of wheels fixed to a plough-share becomes the basis of an entire social structure. But we must be careful; such reasoning would fail to take account of the thousand and one subtleties of human behaviour. It is true that plots had to be long if they were to accommodate the wheeled plough; but did they also have to be narrow? There was nothing in practice to prevent the occupants from dividing the land into a smaller number of larger plots, of sizeable length and breadth, so that each holding was composed of a few well-shaped plots instead of a host of very narrow strips. But far from being sought after, such concentrations appear to have been generally avoided. If the plots were dispersed, then everyone shared the same risks and enjoyed the same opportunities; everyone had his share of the different types of soil; everyone had some hope of avoiding the full impact of the natural or human disasters – hailstorms, plant diseases, devastation – which might descend upon a place without destroying it completely. This line of thought, so much a part of peasant mentality that it can still stand in the way of a rational redistribution of land, was almost as influential in determining the shape of irregular fields as it was in long-furlong regions. But where the aratrum was in use it was possible to keep plots to a modest size simply by curtailing their length, while maintaining a reasonable width. This solution was not practicable in wheeled plough regions, where the only to avoid making parcels either too small or too large was to make them long and thin; this in turn meant aligning them in regular sized bundles, since otherwise – ridiculous idea! – they would run criss-cross. But this arrangement also assumes a prior understanding among the occupants and their acquiescence in certain communal restrictions. This discipline seems such an essential feature of the system that we might feel justified in reversing our previous argument: we might say that without communal habits of cultivation the wheeled plough could never have been adopted. There are obviously inherent difficulties in attempting to make such exact appraisals of cause and effect for a development whose course can only be plotted by guesswork. So let us content ourselves with a less ambitious observation: for as far back in time as we can go, the wheeled plough (parent of the long-furlong field) and a collective habit of cultivation are the twin characteristics of one very distinct type of agrarian civilisation; where these criteria are lacking, the civilisation will be of a totally different type.

5. Les régimes agraires : les enclos

5. Agrarian Regimes: Enclosed Fields

Aux deux systèmes « ouverts » — et marqués par des servitudes collectives, fortes ou mitigées, — s’oppose, par une étonnante antithèse, celui des enclos.

In striking contrast to the two ‘open’ systems, found always in association with collective obligations more or less rigorously observed, we have the regime of enclosures.

Les agronomes anglais du XVIIIe siècle associaient en général l’idée de clôture à celle de progrès agricole ; chez eux, dans les campagnes les plus riches, la suppression des assolements périmés et de la vaine pâture s’était accompagnée de la fermeture des champs. Or l’un d’eux, Arthur Young, ayant, en 1789, passé la Manche, eut une grande surprise. Il vit, en France, des provinces entières qui, coupées d’enclos, n’étaient pas moins étroitement soumises que leurs voisines à des procédés de culture tout à fait antiques : « par la folie singulière des habitants, dans les neuf dixièmes des enclos de France, le même système prévaut que dans les champs ouverts, c’est-à-dire qu’il y a autant de jachères. »

English agronomists of the eighteenth century tended to look on enclosure as a mark of agricultural advance: in the more fertile parts of England enclosure was accompanied by the abandonment of outdated crop rotations and of communal grazing on the arable. But when Arthur Young crossed the Channel in 1789 he was in for a surprise. He discovered whole provinces of France where the arable was divided up into enclosed fields and yet continued to be cultivated by the hide-bound methods used in neighbouring regions . . . , ‘the marvellous folly is, that in nine-tenths of all the enclosures of France, the system of management is precisely the same as in the open fields, that is to say, fallows as regularly prevail . . .’

Donc, dans ces pays scandaleux, de toutes parts des clôtures compartimentent les labours, en règle générale parcelle par parcelle : clôtures permanentes, bien entendu, et que leur structure même, à l’ordinaire, proclamait faites pour de longues durées. C’étaient le plus souvent des haies vives, montées parfois, comme dans l’Ouest, sur de hautes levées de terre, qu’on appelle là-bas « fossés » (ce que le français commun nomme fossé s’y dit ordinairement « douve »). Tout ce feuillage — buissons, arbres aussi qui ne manquent point dans les haies — fait qu’encore aujourd’hui ces espaces cultivés, vus d’un peu loin, présentent, pour parler comme un mémoire du XVIIIe siècle, « le coup d’œil d’une mouvante forêt », à peine un peu clairsemée. D’où le vieux nom de bocage que le langage populaire, l’opposant à ceux de « champagnes » ou de « plaines », évocateurs des terroirs sans obstacles, appliquait volontiers aux régions encloses. Ils sont venus — écrivait, vers 1170, le poëte normand Wace, dépeignant un rassemblement de paysans de la Normandie, qui se partage entre pays d’enclos et pays ouverts, — ils sont venus,

Throughout these disgracefully anonymous areas the ploughlands were enclosed by fences, which as a rule surrounded each parcel: these were permanent enclosures made of durable material, clearly meant to last. They usually took the form of quick-set hedges, sometimes, as in the west, mounted on high banks of earth known as fossés – in these parts the fossé (ditch) of standard French is called douve. When viewed from a distance, this wealth of foliage – hedges often include bushes and trees – creates the illusion of a ‘moving forest’ sprinkled with isolated clearings, to borrow an eighteenth century description. Hence the old name bocage, spontaneously applied in popular speech to enclosed regions in direct antithesis to the champagnes and plaines so evocative of open vistas. Writing c. 1170, the Norman poet Wace describes a gathering of peasants coming

« cil del bocage e cil del plain ».

cil del bocage e cil del plain,



some from enclosed, some from open country.

Mais toute clôture stable n’était pas forcément végétale. Parfois, le climat, le sol, ou tout simplement l’usage imposait un autre mode de fermeture : on élevait alors — comme dans certains coins de la côte bretonne, battus par le vent de mer, ou en Quercy — des petits murs de pierre sèche, qui, sans boucher la vue, traçaient sur le sol un immense damier aux lignes dures.

Enclosures were not always made from growing things. Climate, soil, or mere custom might dictate some different method: on the windtorn coasts of Brittany, and in Quercy, men built low dry-stone walls which turned the countryside into one huge chequer-board.

Ici, comme en régions de champs ouverts, les caractères matériels n’étaient que le signe visible de réalités sociales profondes.

As in the regions of open-fields, these material manifestations were the outward expression of underlying social realities.

Ne disons point que le régime des enclos était tout individualiste. Ce serait oublier que les villages où il régnait possédaient à l’ordinaire des pâquis communaux fort étendus et sur lesquels ils surent souvent — en Bretagne par exemple — maintenir avec une énergie farouche les droits de la collectivité ; oublier aussi que parfois — mais non toujours ; ce n’était le cas ni dans la Bretagne du Nord ni dans le Cotentin — les prés contrastaient avec les labours enclos par l’absence de toute fermeture et accueillaient, dès après la première herbe, les bêtes de tous les habitants. Disons plutôt que l’empire de la collectivité s’arrêtait devant les labours : fait d’autant plus frappant qu’en pays ouverts, en pays de champs allongés surtout, c’était la terre arable, au contraire, qui, par excellence, était soumise à ces contraintes. Protégé par sa haie ou son mur, le champ ne connaît point la vaine pâture commune — bien entendu, la jachère, comme ailleurs, sert à la nourriture des animaux ; mais ce sont ceux de l’exploitant — et chaque cultivateur est maître de son assolement.

We cannot claim that the regime of enclosures was wholly individualist in tendency. Villages where it was in force normally possessed extensive common pastures over which the villagers enjoyed collective rights, often jealously defended, as in Brittany for example. Again, except in northern Brittany and Cotentin, the meadows, unlike the ploughlands, were unenclosed and the livestock of the whole population would be turned out to graze there after the first hay was cut. What we can say, however, is that collective practices stopped short at the arable; and this is all the more remarkable when we remember that in unenclosed country, especially where the fields were long, it was the ploughlands that were subject to strictest regulation. Secure within its hedge or wall, no enclosed field was exposed to the common herd; fallow land was of course used for grazing as it was elsewhere, but each man could reserve his fields for his own livestock, and fallow his own system of rotation.

Ces habitudes d’autonomie agraire formaient si bien l’essence même du système qu’elles subsistaient parfois là même où les circonstances avaient amené la suppression de leur symbole sensible : la clôture. Il y avait alors, si je puis dire, enclos moral. Dans la Bretagne du Sud-Ouest, les terroirs voisins de la mer ignoraient naturellement les haies vives et ne prenaient pas toujours la peine d’y substituer des murs. Ils n’en étaient pas moins tout à fait étrangers aux servitudes collectives. Comme le constatait, en 1768, le subdélégué de Pont-Croix, dont le témoignage concorde avec d’autres observations, un peu postérieures : « Chaque propriétaire lie ses bestiaux au piquet dans ses portions de terre afin qu’ils ne courent point et ne paissent point sur celles des autres ». Un égal respect du chacun-chez-soi tendait à prévaloir lorsque plusieurs parcelles se trouvaient comprises à l’intérieur d’un même enclos. Originairement, selon toute apparence, chaque pièce, dépendant d’un possesseur unique, avait possédé son rempart de verdure ou de pierres, comme elle avait son nom à elle : car ici c’est chaque champ, en principe, qui était — qui est encore — un lieu dit. Ces pièces étaient, à l’ordinaire, assez vastes et de formes irrégulières, mais sans grande inégalité entre leurs deux dimensions ; dans beaucoup de pays d’enclos on labourait avec l’araire, probablement parce qu’ils étaient, pour la plupart, fort accidentés ; lors même que, comme dans le Maine, on employait la charrue, on ne craignait pas de faire le champ assez large, parce qu’on n’avait pas de raison de ne pas le faire, au total, assez vaste, la règle de la dispersion — nous comprendrons pourquoi dans un instant — n’étant guère observée. Mais il arriva qu’au cours des temps ces étendues trop considérables se trouvèrent, par aliénations ou héritages, divisées entre plusieurs exploitants. Parfois ce morcellement avait pour résultat l’établissement de clôtures nouvelles. Sur certains plans normands, qui donnent le même terroir à deux dates différentes, on peut voir ainsi, par endroits, deux parcelles primitivement comprises dans le même enclos qui, sur le plus ancien document, sont séparées par une ligne purement idéale et, sur le second, par une haie. Le paysan aimait à cultiver à l’abri d’une défense. Souvent, cependant, il reculait devant les frais ou les difficultés d’un pareil travail, surtout lorsque son lot était petit. Alors se constituait, derrière l’enceinte de l’enclos, un petit groupe de parcelles, souvent étroites et étirées, dont le dessin, sur les cartes qui négligent de marquer les haies par un signe distinctif, donne aisément aux observateurs un peu pressés l’illusion d’un quartier de champs allongés ; c’est ce qu’on appelait en Bretagne de langue française du nom caractéristique de « champagne ». Il était difficile qu’une entente manquât à s’établir entre les divers possesseurs qui se partageaient la champagne, entraînant une certaine uniformité d’assolement, parfois la dépaissance commune. On a en effet des exemples historiques de ces pratiques qui semblaient recréer, sur un petit coin de terre, les habitudes des finages ouverts. Mais l’individualisme ambiant ne leur était pas favorable. Comme je montrais un jour à un employé du cadastre de la Manche, fort au courant des mœurs rurales de son pays, le croquis d’une de ces champagnes et lui disais : « Là du moins vous êtes bien obligés d’avoir une sorte de vaine pâture, — « Eh non, Monsieur », me répliqua-t-il, d’un air de pitié, « et c’est tout simple : chacun attache ses bêtes ». Tant il est vrai que tout usage agraire est, avant tout, l’expression d’un état d’esprit. Envisageant le projet d’introduire, en Bretagne, au moins sur les communaux, cette règle du troupeau commun qui, en Picardie, en Champagne, en Lorraine, semblait aux paysans appartenir à l’ordre même des choses, les représentants des États bretons écrivaient en 1750. « Il ne paraît pas possible d’espérer que la raison et l’esprit d’union règnent parmi tous les habitants du même village au point de réunir leurs moutons pour n’en former qu’un seul troupeau sous la garde d’un seul berger... »

These independent habits were so much part and parcel of the regime that they could even survive the disappearance of the enclosures which were its outward sign. An example of what can be found in seaward parts of south-western Brittany, where hedges were out of the question and even walls often dispensed with; yet collective obligations were apparently completely unknown. In 1768 the subdelegate of Pont-Croix, whose evidence is corroborated by slightly later sources, observed: ‘each landholder tethers his beasts to a stake on his own plots, so that they shall not stray and graze on those of others’. This respect for the principle of keeping oneself to oneself was liable to prevail even when several holdings came to occupy a single enclosure. It seems that originally each field was in the hands of a single owner, and had its own quickset or stone fence, just as it had its own name – as is still largely the custom in these parts. In general the fields were fairly large and somewhat irregular in shape, though without any great disproportion between length and breadth. The aratrum was in use in many enclosed regions, probably because much of the ground was very uneven; even where, as in Maine, the wheeled plough was used, there was no difficulty about making fields reasonably wide, since for reasons which will shortly become clear, dispersal of properties was not the rule so the total area might be quite extensive. But in the course of time these fair-sized plots might become divided up among several holders, the result of alienations or inheritance. Sometimes fragmentation resulted in fresh enclosures. On maps from Normandy which enable us to compare the same piece of land at two different dates, the boundary of two plots originally contained by the same enclosure solidifies from a purely notional line into an actual hedge. It seems that the peasant preferred to work ground sheltered by a hedge. But he was often reluctant to undertake the expense and difficulty of providing his own protection, especially when his plot was small. When this was so, a single enclosure was made to embrace a small group of parcels, often quite long and narrow, whose pattern on a map where the hedges are left unmarked might persuade a casual observer that he was seeing long-furlong open-fields; in Brittany this formation was described by the significant French expression champagne. The holders of the various plots were pretty well bound to come to some kind of agreement over crop rotation, which might include a measure of communal grazing. Such agreements are on record, and had the effect of reproducing the customs of open-field villages in isolated pockets of the countryside. But the surrounding climate of individualism was too strong for them. I remember showing a plan of one of these champagne fields to a man employed in the Manche survey office, who was very well versed in the rural customs of his region; when I remarked that some form of communal grazing must have been adopted, he replied with a pitying air: ‘But of course not; everyone would keep their beasts tied up’. How true it is that all rural customs take their origin from an attitude of mind! In 1750, when there was a proposal to introduce into Brittany a modified form of the common herd, under which the arable would still be protected, the representatives of the Breton Estates rejected as unpracticable a measure accepted as part of the natural order by the peasants of Picardy, Champagne and Lorraine. ‘It seems impossible,’ they said, ‘to hope that reason and the community spirit could triumph among the inhabitants of the same village to such an extent that they would be prepared to bring their sheep into one flock under one shepherd.’

Comment un pareil système est-il né ? comment même était-il possible ? Pour le comprendre, il faut d’abord examiner sa répartition géographique et, du même coup, les genres de vie auxquels il s’associait. Pas plus que les autres régimes qui viennent d’être décrits, il n’est propre à la France. Le bon Arthur Young, s’il avait bien regardé, l’eût trouvé, avec les mêmes recettes techniques désuètes, en Angleterre même. Là aussi, par un parallélisme frappant, le vieux langage opposait aux champaigns ou champions tout ouvertes, le woodland, coupé de haies. Mais nous n’avons ici à considérer que les enclos français.

How did such a regime come into being? How was it even possible? Before attempting to answer these questions we must look at the enclosures in their geographical and social setting. There is nothing specifically French about enclosure, just as there is nothing specifically French about the other regimes described in this chapter. If he had looked carefully, Arthur Young would have found places in England where enclosure was accompanied by those same outmoded techniques he derides. There is even a striking parallelism in the terminology: in Middle English there was a distinction between open ‘champion’ land, and ‘woodland’, which was interrupted by hedgerows. Here, however, we are concerned only with French enclosures.

Toute la Bretagne — excepté, près de la Loire, le pays de Pontchâteau, ouvert et soumis aux servitudes collectives —, le Cotentin avec les régions de collines qui à l’Est et au Sud entourent la plaine de Caen, le Maine, le Perche, les « Bocages » poitevins et vendéens, la plus grande partie du Massif Central — à l’exclusion des plaines limoneuses qui y forment autant d’oasis sans barrières — le Bugey et le Pays de Gex, dans l’extrême Sud-Ouest le Pays Basque, voilà, telle qu’on peut aujourd’hui la tracer — trop sommaire certainement et sujette à être précisée et révisée par des enquêtes plus poussées — la carte des pays d’enclos. Donc des régions souvent accidentées, en tout cas de sol maigre.

In the present state of our knowledge, a distribution map would show the following as areas of enclosure: the whole of Brittany, apart from the region of Pontchâteau near the Loire, which was open-field and subject to collective obligations; Cotentin, together with the hilly country bordering the lowlands of Caen to the east and south; Maine; Perche; the bocages of Poitou and Vendée; most of the Massif Central, with the exception of the loamy low-lying areas scattered like so many indeterminate oases; Bugey and the Pays de Gex; and finally the Basque lands of the extreme south-west. This summary picture will doubtless have to be modified in the light of further research. But we can at least see from it that the regime is found where the soil is poor and the terrain for the most part is hilly.

D’occupation fort lâche aussi. Presque toujours, les terres encloses avaient pour centre, non un village, au sens général du terme, mais un hameau, une poignée de maisons. Parfois même, de nos jours, elles dépendent d’une maison tout à fait isolée ; mais ceci n’est vraisemblablement qu’un phénomène relativement récent, résultat soit d’un défrichement individuel, soit de l’un de ces accaparements du sol d’un hameau par un seul propriétaire, dont nous rencontrerons plus loin des exemples. L’agglomération ancienne était petite ; il y avait cependant agglomération.

Further, the regime is found in lightly populated areas/ Enclosed fields almost invariably centre on a hamlet rather than a village proper. Nowadays one sometimes sees enclosed fields attached to a single dwelling, but this is likely to be a relatively recent development, evidence perhaps of an individual effort at land clearance or self-aggrandizement, all the lands of the hamlet having been acquired by a single proprietor. In its earlier form, a settlement although small will always be a cluster, not an isolated farmstead.

Ce menu groupe d’hommes ne cultivait pas en permanence tout son terroir. Autour des labours, coupés de haies ou de murs, s’étendaient inévitablement de vastes friches : telles, par exemple, les landes bretonnes. Elles servaient de pâquis, et l’on y pratiquait d’ordinaire, assez largement, la culture temporaire. Ainsi s’explique que ces petites communautés aient pu renoncer aisément à la vaine pâture collective sur les champs. La dépaissance sur les espaces incultes leur offrait des ressources que ne connaissaient plus, avec une pareille ampleur, les régions plus complètement essartées. De là vient aussi que l’occupation s’y fit par vastes pièces, dont chaque exploitant ne possédait qu’un petit nombre : car de toute façon cette occupation stable ne s’appliquait qu’à une faible partie du finage ; la culture temporaire, sur le reste, se présentait naturellement en ordre dispersé.

So small a group of men could not keep all their land under permanent cultivation. The ploughlands, which were intersected by hedges or walls, would be surrounded by great stretches of waste; the Breton landes are a good example. The waste was used as pasture and for intermittent cultivation, on a fairly large scale. These small communities thus had no pressing need to resort to communal grazing on the arable, since the waste provided the free-range area which was lacking in regions where clearance had been more complete. It also becomes clear why the permanent plots, which formed only a small fraction of the total area, could be large, compact, and few in number, while those under temporary cultivation were scattered.

Aussi bien, est-ce de la culture temporaire précisément qu’il faut partir pour reconstituer la genèse de ces terroirs enclos. L’évolution est difficile à suivre. Pourtant les faits bretons permettent de nous en faire une idée. Nous connaissons assez bien, dans la Bretagne du XVIIIe siècle, le régime des « terres froides », alternativement friches et labours intermittents. Une partie servait de communaux, une autre, plus considérable, peut-être, était objet d’appropriation individuelle : mais cela, sous réserves de servitudes collectives, absolument ignorées des « terres chaudes ». Chaque exploitant, à côté de ses champs permanents et enclos, possédait des morceaux de landes. De temps à autre, à larges intervalles, il venait y semer du seigle, dont il ne faisait qu’une récolte, puis, pour la litière et le fumier, du genêt, qui avait droit à une durée un peu plus longue. Il les fermait alors, mais à titre tout provisoire. « Suivant un usage invétéré et qui passe presque en loy », écrivait, en 1769, dans un très remarquable rapport, l’intendant de Rennes, « ces genêts ne peuvent rester que trois ans en terre et... après ce terme fatal les clôtures qui avaient été faites pour conserver les levées de ces terres froides doivent être détruites ». C’est qu’il fallait rendre le sol, un moment protégé contre elle, à la dépaissance commune. Primitivement, la plus large part, de beaucoup, la totalité peut-être de ces terroirs, constitués par un petit nombre d’exploitants, avait été (jardins exceptés) « terre froide », soumise, comme telle, en dehors des périodes d’ensemencement, à de rigoureuses obligations de pacage. Le plus ancien coutumier breton, la « Très Ancienne Coutume », rédigée au début du XIVe siècle, dans ses dispositions, souvent passablement obscures, reflète visiblement les incertitudes d’une époque de transition. La clôture est autorisée, mais la vaine pâture – appelée « guerb », parce qu’elle obligeait les possesseurs à abandonner, à « guerpir » leurs champs — est présentée comme encore largement pratiquée. Tenue pour nécessaire au bien commun, elle est, à ce titre, l’objet de certaines faveurs juridiques. Enfin la culture semble sujette à bien des intermittences. De même, dans la Marche, au XIIIe siècle, la vaine pâture, qui, aujourd’hui, y est ignorée, semble avoir été la règle. Peu à peu, sur certaines sections des terroirs, les défrichements, opérés, comme plus tard les essartages temporaires de la lande, par initiative individuelle, en conséquence sous forme de champs irrégulièrement disposés, devinrent définitifs et comme eux permanentes, leur clôtures, qui, dans un système où les friches parcourues par les bêtes étaient toujours proches des maisons, semblaient indispensables à la défense des grains. Ainsi se constitua ce régime d’enclos, où la collectivité ne pouvait abdiquer ses droits sur les labours que parce qu’elle les conservait, en réalité, sur la majeure partie des terres dont la zone régulièrement ensemencée ne constituait qu’une faible fraction.

All the same, we must start with the temporary plots if we are to explain how the enclosed portions came into being. The course of development is admittedly difficult to follow, but a general idea can be formed from a study of the Breton evidence. We know a fair amount about the regime of terres froides as it existed in eighteenth century Brittany, by which land alternated between waste and intermittent cultivation. One part, perhaps the smaller, was set aside for commons; the remainder was given over to individual exploitation but remained subject to collective obligations, a condition which was never applied to terres chaudes. Each cultivator had both permanent fields, which were enclosed, and a number of plots scattered about the waste. Every now and again, at fairly lengthy intervals, he would sow his outlying lands with rye and take a single harvest. He was then entitled to cultivate broom (used for bedding and the muck-heap) on his land for a somewhat longer period, during which he was allowed to fence it off, strictly on the understanding that the enclosure was temporary. The intendant of Rennes has left a full account in a very interesting report written in 1769. ‘By an inveterate custom which has almost passed into law, brooms are allowed to remain in the ground for only three years . . . and after this fatal term the enclosures set up to protect the crops of these terres froides must be destroyed.’ In other words, when the period of exemption expires, the ground must once again be thrown open to the herd. It seems that at first most, if not all, of the plots established by these small groups of husbandmen fell into the category of terre froide, which meant that the rules about communal grazing had to be observed except where land was actually under cultivation. Although often somewhat obscure, the provisions of the ‘Très Ancienne Coutume’, the earliest Breton custumal written down at the beginning of the fourteenth century, clearly reflect the uncertainties of a transitional period. Enclosure is allowed, yet at the same time the practice of guerb – common grazing on the arable, known by this name because the owners are obliged to surrender (guerpir) their fields – is apparently still widespread. The custom is justified as beneficial to the community and therefore entitled to certain legal validity. It also appears that cultivation might still be intermittent. In the same way, although common pasture on the arable is quite unknown in Marche today, in the thirteenth century it appears to have been the rule. Little by little, however, clearances made by individuals at various spots became clearly defined and permanent as a random scattering like the temporary assarts on the edge of heathlands; but since this was ground taken in from waste lying close to houses, where animals were accustomed to have free range, the fields had to be enclosed to protect the growing crops. The regime of enclosure was in fact only possible because these communities still had so much uncultivated land at their disposal, so that collective rights over the small fraction which was permanent arable could safely be abandoned.

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De ces divers régimes agraires, l’opposition, plus ou moins nettement conçue, a dès longtemps frappé les historiens. Au temps où la race semblait devoir donner la clef du passé, on songea, tout naturellement, à demander au Volksgeist le mot de cette énigme, comme de tant d’autres. Tel fut, notamment, hors de France, l’objet de la grande tentative de Meitzen, précieuse comme initiatrice, mais qu’on doit tenir aujourd’hui pour définitivement ruinée. Aussi bien, entre autres torts, avait-elle celui de ne tenir compte que des peuples historiquement attestés : Celtes, Romains, Germains, Slaves. C’est bien plus haut, jusqu’aux populations anonymes de la préhistoire, créatrices de nos terroirs, qu’il faudrait pouvoir remonter. Mais ne parlons ni de race, ni de peuple ; rien de plus obscur que la notion d’unité ethnographique. Mieux vaut dire : types de civilisation. Et reconnaissons que, pas plus que les faits de langage ne se groupent aisément en dialectes — les frontières des diverses particularités linguistiques ne se recouvrant pas exactement les unes les autres – les faits agraires ne se laissent enfermer dans des limites géographiques qui, pour toutes les catégories de phénomènes apparentés, seraient rigoureusement les mêmes. La charrue et la pratique de l’assolement triennal semblent bien, toutes deux, nées dans les plaines du Nord ; mais leurs aires d’extension ne coïncident point. La charrue, d’autre part, est liée d’ordinaire aux champs allongés ; elle s’associe, cependant, quelquefois aux enclos. Compte tenu des zones de contact, favorables toujours à l’éclosion de types mixtes, et sous réserve de divers chevauchements, on peut néanmoins distinguer, en France, trois grands types de civilisation agraire, en liaison étroite, à la fois, avec les conditions naturelles et l’histoire humaine. D’abord un type de sol pauvre et d’occupation lâche, longtemps tout à fait intermittente et qui toujours — jusqu’au XIXe siècle — demeura telle, pour une large part : régime des enclos. Viennent ensuite deux types d’occupation plus serrée, comportant tous deux, en principe, une emprise collective sur les labours, seul moyen, vu l’extension des cultures, d’assurer entre les moissons et le pacage l’exact équilibre nécessaire à la vie de tous, — tous deux, par conséquent, sans clôtures. L’un, que l’on peut dire « septentrional », a inventé la charrue et se caractérise par une cohésion particulièrement forte des communautés ; son signe visible est l’allongement général des champs et leur groupement en séries parallèles. Probablement, ce fut des mêmes milieux que partit l’assolement triennal, dont le rayonnement a, en général, largement dépassé, vers le sud, mais sur d’autres points — voyez la plaine d’Alsace n’a pas tout à fait atteint celui de la charrue et des terroirs à parcelles régulières et allongées. Le second des deux types ouverts, enfin, qu’il est permis, pour simplifier, mais avec quelques réserves, d’appeler « méridional », unit la fidélité au vieil araire et — dans le Midi proprement dit, du moins — à l’assolement biennal, avec, dans l’occupation et la vie agraire elle-même, une dose sensiblement moins forte d’esprit communautaire. Il n’est pas interdit de penser que ces contrastes, si vifs, dans l’organisation et la mentalité des vieilles sociétés rurales n’ont point été, sur l’évolution du pays en général, sans profonds retentissements.

Historians have long been impressed by the contrasts between the various agrarian regimes just described, although some have appreciated the differences more clearly than others. In the days when it was fashionable to see race as the key to every historical problem, there was an understandable inclination to make the Volksgeist responsible. This was the aim of Meitzen’s ambitious project, a praiseworthy pioneer effort now completely demolished. Quite apart from his various misconceptions, he made the mistake of confining his attention to the historic peoples, the Celts, Romans, Germans and Slavs. But one would need to go much further back in time than this, to the anonymous prehistoric groups of men who first created our fields. ‘Race’ and ‘people’ are words best left unmentioned in this context; in any case, there is nothing more elusive than the concept of ethnic unity. It is more fruitful to speak of types of civilisation. Even so we must recognise that the facts of agrarian life are no tidier than those of language: just as there are always certain forms and usages which straddle dialect boundaries, so there are no geographical areas whose limits are exactly coterminous with one particular set of agrarian forms and techniques. True, the wheeled plough and triennial rotation were probably both children of the northern plains; but their spheres of influence by no means coincided. The wheeled plough is normally linked with long open-fields, yet is also found in regions of enclosure. Taking into account both the existence of border zones, always a fruitful source of hybrid forms, and sundry instances of overlapping, it is still possible to distinguish three main types of agrarian civilisation in France, each standing in close relation to its physical and human environment. There is the type found in regions of poor soil and sparse settlement, a regime in which cultivation long remained intermittent and was largely to continue so down into the nineteenth century; this was the regime of enclosures. Then we have two types proper to more closely settled areas, both based in principle on collective exploitation of the arable as the sole means, given the length of the plots, of maintaining the vital balance between crops and grazing, and both necessarily innocent of enclosures. One of these types, the ‘northern’, invented the wheeled plough and is markedly communal in its agricultural practices; externally, it takes the form of long-furlong fields arranged in parallel strips. Triennial rotation probably had its origin in the same environment; but although it spread southwards, in other directions it made less headway than the wheeled plough and the strip field system, as is shown for example, by the evidence from the lowlands of Alsace. The prescription for the other type of open-field, which for the sake of convenience may be called ‘southern’ although the label cannot be accepted without some reserves, is compounded of loyalty to the aratrum and to biennial rotation (in the Midi proper, at least), taken with a much weaker dose of the communal spirit, especially in matters concerning the distribution and cultivation of the soil. It is not impermissible to think that these pointed contrasts of organisation and outlook among our older rural societies could not fail to have had far-reaching effects on the evolution of the countryside as a whole.

Chapitre III.


La seigneurie jusqu’à la crise des XIVe et XVe siècles

Chapter Three:


Seigneurie Down to the Crisis of the Fourteenth and Fifteenth Centuries

1. La seigneurie du haut moyen-âge et ses origines

1. The Early Medieval Seigneurie and its Origins